Marée noire : la fureur d'un chercheur niçois

Posté sam 08/01/2000 - 00:00
Par admin

Etienne Tillié : 'nous affirmons avoir la solution pour traiter le pétrole de l'Erika. Pourquoi ne nous met-on pas au défi ne serait-ce que pour un test ?'

La marée noire n'est toujours pas endiguée. Elle gagne maintenant le golfe du Morbihan et menace d'autre part, entre autres les fameux marais de Guérande. Devant la catastrophe qui, de jour en jour, apparaît plus colossale, un ingénieur azuréen à la retraite fulmine.Etienne Tillié, 72 ans, qui continue à œuvrer comme chercheur au sein du laboratoire de 'Pétrologie-minéralogie, stabilité et réactivité des minéraux' de la Faculté des sciences Nice Sophia Antipolis, avait pensé avoir déjà fait preuve de l'efficacité de ses recherches, en 1978, lors de la catastrophe de l'Amoco Cadiz. Ces recherches, menées avec le professeur Guy Turco, ancien doyen de la faculté des sciences, lui avaient permis de mettre au point à partir de matériaux peu coûteux (des DIR, déchets industriels réutilisables, que de toutes façons il faut éliminer), un produit permettant de 'piéger' le pétrole.Vers la fin décembre, quand la France a réalisé que les nappes allaient une nouvelle fois souiller la Côte, Etienne Tillié est de nouveau monté au créneau ( Deux Niçois proposent un traitement). Il a envoyé fax, lettres, dossiers, e-mails, coups de téléphone à tous ceux qui s'occupaient de la lutte contre le fléau de la marée noire. Des ministres aux médias, en passant par les préfets des différents départements concernés les responsables du Cedre, les dirigeants de Total Fina. Pas la moindre réponse.Chercheur méconnu ? Inventeur un peu illuminé ? Il est difficile bien sûr, faute d'éléments d'expertise d'hurler au scandale devant l'indifférence à laquelle s'est heurté Etienne Tillié. Pourtant, ce dernier mérite d'être écouté. D'autant plus qu'il ne demande qu'à être mis au pied du mur pour un test d'essai…SN.com : comment en êtes vous venus à vous intéresser à ce problème du traitement des marées noires ? Etienne Tillié :'Ma spécialité, c'est le bâtiment et les travaux publics. Au début des années 70, j'ai ainsi travaillé sur un nouveau liant (de la famille des ciments, chaux et platres qui, mélangés à l'eau deviennent plastique et durcissent en séchant). Celui-ci avait une particularité : celle de ressuer (rejeter toute l'eau excédentaire). Depuis la catastrophe de l'Amoco Cadiz, je consacre mes efforts de recherche à la valorisation des déchets industriels réutilisables . A travers la branche 'Matériaux' du laboratoire de Pétrologie-minéralogie' dirigé depuis 1967 par son fondateur le professeur Turco, nous avons étudié l'intégration de ces DIR sous forme de boulettes de 'Cricaleum', et de liant à caractère hydraulique que nous avons appelé Crical.Les applications ne se limitent pas à la lutte contre les marées noires. Elles touchent la lutte contre les incendies de forêts, les amendements de sols, les substrats de culture hors sols, l'épuration des eaux usées, etc . Dans le cas du pétrole, nous avons découvert que lorsqu'on mélangeait le Crical avec une émulsion composée de pétrole et d'eau, il rejetait l'eau mais gardait le pétrole emprisonné.Votre procédé est-il adapté au cas du pétrole de l'Erika, qui est un hydrocarbure très lourd ? Etienne Tillié :Jusqu'à présent, les essais entrepris, l'ont été à partir d'hydrocarbures légers. Pour le type de pétrole 'gomme' qui est celui de l'Erika, la solution que j'ai proposé fin décembre, était de travailler avec des boulettes de Cricaleum. Celles-ci, préalablement dépoussiérées et chauffées à 150 degrés (cette opération peut facilement se faire à partir d'une station d'enrobage d'agrégats routiers), seraient projetées sur les nappes d'hydrocarbures. Elles s'enkysteront et couleront ensemble, emprisonnant le pétrole.A terre, ce processus, permettrait le nettoyage fin des plages. J'ajoutais dans tous mes courriers qu'il était possible de disposer en quelques jours de 25.000 tonnes de Cricaleum (le coût est de l'ordre de 200 francs la tonne), quantité suffisante pour traiter les 10.000 tonnes de pétrole qui avaient été rejetées en mer.Il a été dit qu'il était plus dangereux encore de 'couler' le pétrole au fond de la mer que de l'avoir sur les côtes ? Etienne Tillié :C'est totalement faux. Une fois au fond de la mer, le pétrole se biodégradera très lentement. Ce qui ne sera pas préjudiciable à l'environnement. Dans le golfe du Mexique, quelques années après la catastrophe, on retrouvait poissons et crevettes à foison. Si à partir du 23 décembre, nous avions pu intervenir, nous aurions bombardé les nappes avec le Cricaleum et fait disparaître une bonne partie du pétrole qu'il s'avérait impossible de pomper. Mais je n'ai reçu aucune réponse des autorités chargées de l'opération.N'est-il pas aujourd'hui trop tard pour appliquer votre solution ? Etienne Tillié :Il est encore possible d'intervenir pour enlever par exemple les nappes qui approchent les marais de Guérande. Ou encore essayer d'enlever le pétrole des rochers en projetant du Cricaleum préalablement traité (dépoussiérage et chauffage).Pourquoi n'avez vous pas tenté de faire des essais-test sur place sur quelques mètres carrés par exemple ? Etienne Tillié :En vingt années de recherche je me suis épuisé financièrement. Même si un essai ne coûtera pas une fortune au regard des sommes actuellement engagées contre la marée noire. Pourquoi, en tout cas, ne nous met-on pas au défi de prouver ce que nous affirmons ?Il faudrait 25 tonnes de Cricaleum, deux billets d'avions, trois ou quatre jours sur place, des moyens pour traiter et projeter le matériau. Cela représenterait une enveloppe de 30 à 50.000 F. Si ça ne marchait pas, c'est nous qui serions ridicules. Non seulement le défi ne nous est pas posé mais les pétroliers, comme les autorités, ne veulent même pas nous entendre.'

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