Tribune libre : "candidats et média" par Dominique Pages

Posté lun 16/04/2012 - 07:57
Par admin

"Qui est responsable de la confiscation du débat ?" questionne Dominique Pages, à propos de la campagne présidentielle. Dans une "tribune libre" ce "professeur de bon sens", fondateur de PromEst, société sophipolitaine spécialisée dans l'accompagnement d'entreprises en Russie et CEI, regrette que la forme soit privilégiée au détriment du fond et que les candidats ne soient pas véritablement sollicités sur les grands thèmes de la société. Voici son texte.

Tribune libre : "candidats et média" par Dominique Pages

"Sous la Vème République, l’élection présidentielle a toujours constitué une occasion unique de communication directe entre candidats, porteurs d’ambitions pour la société française (et pour eux-mêmes) et citoyens sollicités un instant pour dépasser le simple niveau de leur préoccupation quotidienne.

Pour les candidats, adoubés par l’étrange filtre des 500 signatures, c’est une caisse de résonance idéale garantissant l’accès à l’espace médiatique pour délivrer leur profession de foi, qu’elle ait été initialement encouragée ou cadrée par une instance politique ou tout simplement le fruit d’une construction intellectuelle qui ne doit -presque- rien à personne.

Pour le citoyen, au-delà de son inclination ou rattachement idéologique, c’est un moment de responsabilité où, plus que jamais, il a l’opportunité de prendre la mesure –de façon plus ou moins explicite-de l’ensemble des questions de la société dans laquelle il évolue et en son âme et conscience exprimer le choix qui lui parait le mieux illustrer sa position de fond.

Entre eux s’est installé le truchement –comme le terme d’ailleurs le désigne- des media, dont le rôle au fil des années s’est tellement sophistiqué qu’on peut s’interroger s’ils ne sont pas passés du statut de diffuseur à celui de partie prenante pesant sur le fond au prétexte d’en gérer mieux la forme. Avec le Général de Gaulle, les media étaient un résonateur permettant de délivrer le discours parisien auprès de chaque citoyen, jouant à cet égard un rôle clair d’allié de la démocratie. A l’ère de Twitter, une profonde mutation de leur rôle s’est instaurée au cours d’évolutions successives, chacune d’entre elles ayant sa légitimité du moment. Et ainsi, le journaliste –quelque soit son support d’expression- semble être devenu le seul interlocuteur réellement respecté par le candidat. De fait, la tactique et la dialectique de ce dernier est toute tournée vers la séduction, la conviction –quand ce n’est pas la complicité- de ces supermen du débat qui par leurs qualités analytiques et dialectiques, mais aussi parfois porteurs de morale (laquelle et à quel titre ?) s’attribuent la légitimité de poser les questions « que les gens se posent ». Cette évolution, qui ressemble fort à une confiscation de la démocratie au profit d’une oligarchie intellectuelle relayant et imposant « son » débat, n’est-elle pas la cause principale (encouragée avec bienveillance par certains candidats) de la pauvreté et de la gadgétisation des programmes électoraux ?

Combien d’espace médiatique consacré aux propositions sur le permis de conduire (oubliées le lendemain) face aux échanges sur le rôle de l’Europe dans notre vie quotidienne, le modèle social à reconstruire, la co-responsabilité éducative Etat/parents,…? On me répliquera que ce n’est pas « çà qui intéresse les gens », que ce sont des sujets trop profonds pour les traiter dans des émissions qui ressemblent à « Questions pour un champion » principalement régies par la loi de l’Audimat, des parts de marché et des budgets publicitaires encadrant ces émissions.

2 modèles de campagnes fondamentalement distincts illustrent cette perversion :

- Jean-Luc Mélenchon a su reconstruire une relation directe, d’ailleurs plus onirique qu’idéologique avec « les gens » ; c’est cette qualité qui lui vaut son ascension sondagière que le réalisme de ses propos. Il a habilement snobé les media et ne leur a permis que de relayer sa belle rhétorique sans se prêter trop à leurs jeux. De son côté, Marine Le Pen, tribun moins efficace que son père, a su également se hisser à un niveau enviable en évoquant une question de fond (l’identité française) directement auprès de la population, refusant également d’entrer dans la gadgétisation des émissions dites « politiques ».

- François Bayrou, de son côté, n’a quasiment pas quitté la dialectique du fond, refusant également les effets d’annonce et les polémiques chers à la quête d’audience émotionnelle. Mais, outre une moindre capacité oratoire, il a payé chèrement cette austérité dont la mise en scène médiatique est forcément plus exigeante et complexe que le questionnement caricatural et minuté des shows à l’américaine de citoyens/consommateurs s’inquiétant de savoir comment le candidat sur la sellette règlera leur problème de copropriété.

La dernière ligne droite de campagne est ponctuée de récriminations journalistiques sur les règles d’égalitarisme forcené du CSA présumées réduire l’ampleur du débat. Sans doute serait-il sage de réfléchir pour la prochaine échéance à une grille imposée de communication politique qui contraigne le fond au détriment de la forme et sollicite tous les candidats sur les mêmes grands thèmes de société qui comptent…

Restera à trouver qui en décidera du contenu… Les journalistes ?"

Dominique PAGES

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