CPE : la dure utopie de l'emploi garanti ! (Dominique Pagès)

Posté mer 22/03/2006 - 00:00
Par admin

Un angle de vue différent, décapant sur la question du CPE qui secoue la France : c'est ce qu'apporte Dominique Pagès (photo Une) à travers cette opinion libre où il fustige un débat faussé par le remplacement du travail, valeur qualitative, par l'emploi, notion quantitative.

Fondateur de PromEst, société sophipolitaine spécialisée dans l'accompagnement d'entreprises en Russie et CEI, Dominique Pagès aime rétablir la réalité des choses et sait allier clairvoyance et humour. Nous avions déjà pu apprécier ses "coups de gueule" contre un engouement trop aveugle pour les nouveaux riches investisseurs chinois ("Pauvre Abramovitch et bienheureux Li Ka Shing !") ou encore contre notre "sino béatitude" face à l'ouverture du marché chinois ("Français, vous aimez la Chine ? Apprenez le Go !"). Cette fois, Dominique Pagès, aborde un problème strictement franco-français et diablement d'actualité : celui du CPE. Avec toujours un solide bon sens, une verve décapante et un angle de vue qui porte jusqu'à la racine du "mal français"(le texte est de Dominique Pagès et les intertitres de la rédaction).La précarité pivot du débatDans un pays où plus de la moitié des emplois est sous contrôle direct ou indirect de la puissance (doit-on encore l’appeler ainsi) publique (nationale, régionale, communale, administrative ou sociale), où plus de la moitié de la richesse est absorbée par cette même hydre, où l’on ne parle plus de travail mais d’emploi, la précarité est devenue le pivot du débat, sans que personne n’arrive à restaurer un minimum de sens aux enjeux qui sont derrière le conflit sur le CPE, mais aussi le CNE et demain les futurs contrats catégoriels qui se profilent à l’horizon.La génération actuellement aux affaires (soit au gouvernement, donc de droite, soit en régions, donc de gauche, mais il y a 5 ans c’était l’inverse, donc mettons tout le monde dans le même panier) est celle qui, à 20 ans, réclamait l’imagination au pouvoir. L’a-t-elle oublié ? Car derrière le –mauvais-débat sur la précarité se cache l’incapacité de notre Etat d’avoir su mettre en valeur la richesse de l’initiative, du risque, de la conquête d’une nouvelle frontière pour chacun, en d’autres termes de créer et débattre de la flexibilité, créatrice de libertés et de nouvelles références.La France, pays de l'assurance à tous les pas de la vieLa France est devenue le pays de l’assurance à tous les pas de la vie : l’assurance sociale (« un modèle pour le monde »), l’assurance-vie, l’assurance décès, l’assurance annulation, l’assurance perte d’emploi, l’assurance tous risques, etc… Le CDI s’est d’ailleurs installé lui-même comme un contrat d’assurance comparé au CPE, puisque la jurisprudence du droit du travail soutenue par les juridictions prud’homales en a fait une ceinture de sécurité pour le salarié, encourageant perversement les employeurs à recourir à des expédients (CDD, stages) ou rechercher ailleurs la souplesse absente en France.Mais dans ce débat, et dans le paysage français plus généralement, la rhétorique s’est déplacée du travail vers l’emploi, validé en cela par le titre même du Ministre qui en est chargé. Le travail avait un sens physique qui consistait à consommer ou créer de l’énergie (en fait les deux), ce qui lui conférait une image inappropriée (de fatigue et d’inconfort) dans une société où le Graal suprême (partiellement institutionnalisé par la loi sur les 35 heures) est d’en faire de moins en moins pour un revenu sans cesse croissant : la rente viagère indexée décrétée par l’Etat dès la naissance.A quand l’emploi réduit à un bulletin de salaire sans contrepartieQuant à l’emploi, cet ersatz confortable du travail inventé par l’establishment politico-administratif, il a une vertu cardinale : il permet une mesure binaire et une gestion quantitative des flux dénuée de tout contenu qualitatif qui facilite pour tous les joutes sur les chiffres plus que sur le sens. A quand l’emploi réduit à un bulletin de salaire sans contrepartie. On se demande d’ailleurs par quel anachronisme, les syndicats historiques n’ont pas changé leur sigles pour s’adapter à une telle réalité : CGE, CFDE…Donc, ce qui compte d’abord, c’est l’emploi et la variation à la baisse du nombre de ceux qui n’en ont pas ! Mais çà ne suffit pas, car pour accéder au confort petit bourgeois quasiment érigé en avantage acquis (voiture, appartement, électroménager) il faut également que l’emploi ne soit pas précaire, pour que le dispositif d’assurance « boucle » convenablement et puisse garantir l’accès et la pérennité de ce Nirvana.Ce million de Français qui a choisi des postes à l'étrangerIncapable de former de nouvelles ambitions pour la France, d’apporter un nouveau terrain d’aventures (ne serait-ce que dans le champ européen qui constitue en lui-même un challenge attractif), le gouvernement en est réduit à marteler des affirmations d’efficacité à la méthode Coué sur les bienfaits de dispositifs administratifs décidés à la sauvette, sans idéologie autre que la mesure quantitative.A côté de cette réalité, plus d’1 million de français (essentiellement diplômés) ont décidé de choisir des postes à l’étranger depuis plusieurs années, fuyant ainsi le pays qui les a formés et a investi sur eux pour l’avenir de son économie. Se demande-t-on pourquoi ? Et qui en parle, en dehors de la presse qui en fait parfois du « papier » un peu racoleur ? Et pourtant ces mêmes jeunes sont tous sous des régimes sociaux ou de droit du travail qui sont autrement plus précarisants (n’ayons pas peur des néologismes) que le notre, voire que celui post-CPE ! Ils démontrent ainsi l’attractivité d’économies ou de systèmes sociaux et fiscaux qui encouragent la prise d’initiative, la flexibilité et la qualité de formation. Quel meilleur contre-exemple ?Au fait, ceux qui partent, ils ne sont pas membres de la fonction publique ou ont choisi de ne pas le devenir…Dominique Pagès

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