Dominique Pages : Où aura lieu le "Yalta" de 2010 ?

Posté ven 06/03/2009 - 08:30
Par admin

Vive la crise ! s'écrie de façon volontairement provocatrice Dominique Pages. Actuellement en mission en Russie, le fondateur du cabinet conseil Promest à Sophia Antipolis et docteur es "poil à gratter" estime que ce que nous vivons aujourd'hui est une sorte de 3ème guerre mondiale avec des "morts économiques" à la place de "morts physiques". Pour lui, ce conflit d'un genre nouveau devrait ouvrir sur un nouveau "partage" du monde entre les trois univers culturels et idéologiques qui dominent. Cela à l'instar du Yalta de 1945, symbole du nouvel ordre planétaire qui a suivi la seconde guerre mondiale.

Ce point de vue, il le développe dans une tribune libre intitulée "Où aura lieu le « Yalta » de 2010 ?". Avec une conclusion qui justifie ce "vive la crise" : la création d’une nouvelle culture individuelle intégrant au plus profond du quotidien les références d’univers fortement hétérogènes à leur origine. Un challenge au long cours à relever, qui donnerait au monde un horizon constructif et potentiellement pacifique. Voici le texte de Dominique Pages.

Où aura lieu le « Yalta » de 2010 ?

"Et si la crise n'était pas une crise, mais une 3ème guerre mondiale d’un genre nouveau et peu habituel:

  • Sans chefs
  • Sans volonté affichée de conquête ou d’agression
  • Sans morts physiques mais avec des morts économiques dont une partie va en outre « ressusciter »

 

Mais malgré tout il s’agit bien d’une confrontation entre des univers culturels et idéologiques fortement hétérogènes et à la recherche d’une influence sur la planète :

  • L'Occident (récent, avec les USA ou historique, avec l'Europe), dont l'impérialisme du modèle économico-financier a conduit à une création de richesse fondée sur l'économie virtuelle, sans référence à des actifs liquidables et financée par un endettement massif, rendant ainsi le monde complice bienveillant de la bulle ainsi créée
  • La Russie, qui en faisant de ses ressources naturelles la base de sa reconquête politico-économique, s'est construite, avec sa culture du rapport de force et des voies de fait, à nouveau une forteresse destinée à en contrôler l'accès au risque de laisser à nouveau sa population sur le bas-côté de la route de la prospérité retrouvée du pays
  • La Chine, dont la richesse vient, elle, de sa population aujourd'hui ouvrière de l'économie réelle, mais qui a besoin demain de la nourrir au sens propre comme au sens figuré en espoirs de futurs qui chantent et qui est lancée dans une conquête silencieuse, mais tous azimuts de la planète.

L'émergence de ces modèles, comme historiquement a prospéré le modèle soviétique, était d'autant plus réalisable que géographiquement l'espace à occuper en dehors de leur territoire d'origine paraissait infini.

Puis est arrivée la mondialisation, disons le droit d’extension au monde de chaque modèle économique, surtout quand il était au format occidental avec ses référentiels présentés comme universels.

Mais en quelques années, ce qui était un terrain d’exportation et de conquête (au sens de la terra incognita) est devenu –du moins intellectuellement- le bac à sable commun. Et en même temps, le monde rétrécissant, l’expansion qui reste un des ressorts fondamentaux de la nature humaine n’a plus trouvé d’espace pour s’exprimer.

De fait ces trois méta-modèles dominants se sont trouvés confrontés sur un espace limité, imposant une recomposition des termes de l’échange et de leurs territoires d’influence…. Une longue périphrase pour éviter d’appeler une guerre une guerre !

Mais comme il y aujourd’hui plus le sentiment d’une culpabilité internationale partagée que de la défaite d’un modèle au profit d’un autre, nous sommes plus dans une logique de recomposition des règles que celle d’un armistice. A cet égard la métaphore de Yalta peut reprendre du sens, si on la revoit sous l’angle d’une redéfinition consensuelle des modes relationnels entre les meta-modèles, non pas en partage géographique des zones d’influence.

Car c’est bien vers la prise en compte culturelle de l’intervention – lourde - des autres modèles dans chacun des univers évoqués ci-dessus qu’il faut orienter la réorganisation des rapports de toutes natures entre leurs populations. Cela signifie probablement de « revoir le logiciel » dans de nombreux domaines, du quotidien concret au plus institutionnel:

  • pour ce qui est du quotidien concret, c’est probablement évoluer vers l’intégration de normes plurielles et non universelles cohabitant sur un espace donné où qu’il soit (GSM/ ???, ISO/ROSSTANDARD, ???)
  • pour ce qui relève des dispositifs plus institutionnels, cela revient à reformuler la mission ou la légitimité d’organisations comme l’OMC ou le FMI en évoluant d’une doctrine à vertus universelles –dérivées d’un meta-modèle – à une doctrine intégrant la pluralité de références.

De fait, dans un tel aggiornamento mondial, la « nouvelle frontière » sera pour tous la création d’une culture individuelle intégrant au plus profond du quotidien les références d’univers fortement hétérogènes à leur origine. Mondialisation diriez-vous ? Oui, si c’est une démarche d’appropriation individuelle du monde encouragée par l’Etat et non un mot d’ordre lancé par ce dernier, destiné à conquérir tel ou tel marché ou espace.

Et avec un tel challenge à relever, dont l’assimilation nécessitera plusieurs générations, le monde aurait devant lui à nouveau un horizon constructif et potentiellement pacifique. Vive la crise !"

Dominique Pages

 

 

 

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