"Français, vous aimez la Chine ? Apprenez le Go !" (Dominique Pagès)

Posté ven 16/12/2005 - 00:00
Par admin

Mais pourquoi le jeu de go? Parce que c'est un jeu de stratégie chinois qui illustre le principe de l’offensive chinoise : encerclement, étouffement. Fondateur de PromEst à Sophia Antipolis, Dominique Pages s'élève une nouvelle fois avec humour et passion, contre la "sino béatitude" actuelle.

Dominique Pagès persiste et signe. Fondateur de PromEst, société sophipolitaine spécialisée dans l'accompagnement d'entreprises en Russie et CEI, il s'était insurgé en début d'année contre la différence de traitement que les médias accordent aux investissements des nouveaux riches chinois comme Li Ka Shing (le repreneur de Marionnaud) et ceux des Russes comme Roman Abramovitch (voir son Edito "Pauvre Abramovitch et bienheureux Li Ka Shing !"). Toujours dans cette ligne qui est de railler un engouement trop aveugle pour la Chine, il s'attaque aujourd'hui contre ce que certains ont appelé la sino béatitude ambiante. Voici ce qu'il écrit avec clairvoyance et non sans humour. Un mouvement d'humeur que l'on appréciera et qui a de quoi faire réfléchir (le texte est de Dominique Pagès et les intertitres de la rédaction).L'actuelle "sino béatitude"Quand 200 conducteurs de RER (qui travaillent déjà bien moins que 35 heures par semaine) prennent en otages quotidiens plus de 500 000 personnes qui souvent passent plus du double de temps qu’eux au travail ou en déplacement, a-t-on conscience que c’est grâce à la Chine (et accessoirement à la faiblesse de notre démocratie) qu’on peut le supporter?Pourquoi, mettre la Chine dans cette querelle ? Parce que le sang jaune coule depuis plusieurs années dans notre économie, à la plus grande satisfaction apparente de beaucoup d’acteurs politiques et économiques, sans que personne ne voit arriver le risque de l’actuelle sino-béatitude (ce néologisme explicite est à mettre au crédit de son créateur Philippe Cohen, auteur de l’excellent « La Chine sera-t-elle notre cauchemar » -Ed Mille et une Nuits).France, Terre d’Asile et de Villégiature, à l’immigration et au tourisme, tu ajoutes la perfusion chinoise…pour compléter ton ouverture sur le monde. "Un élan d'exploration occidental tout à fait compréhensible"A quoi assiste-t-on, en effet, depuis quelques 5 à 6 ans ? A un vaste mouvement de politico-économiquement correct qui veut qu’il n’y ait pas de bon chef d’entreprise, ni de bon touriste français qui n’ait pas la Chine dans son programme d’investissements ou de voyages ? Impossible de trouver une Chambre de Commerce qui n’ait pas sa formation ou son voyage d’études en Chine dans son programme annuel d’assistance aux entreprises. Les années de honte à la délocalisation sournoise pour raison de productivité dans le Sud-Est asiatique (contrée indéterminée vue de France) sont passées : le choix chinois est un « choix stratégique », c’est-à-dire de conquête et d’expansion pour l’Occident en mal d’avenir, encouragé par la cohorte d’hommes politiques et de fonctionnaires plus ou moins anonymes chargés de l’expansion économique, qui eux ne risquent ni leur patrimoine, ni leur part de responsabilité dans la construction de l’Histoire.Légitimement, la Chine est un pays attrayant et ces propos ne constituent en rien une xénophobie mal placée à l’égard de ce grand peuple qui, bien avant notre civilisation gréco-latine, voire anglo-saxonne, dont nous voulons exporter les présumés bienfaits universels, a su atteindre des niveaux de développement insoupçonnés. Attrayant pour sa culture, son histoire et sa diversité géographique d’abord, mais aussi pour ses modes de vie, l’efficacité de son organisation sociale et disons le clairement pour ses gisements économiques (par sa main d’œuvre et son marché). A ces divers titres, l’élan de curiosité et d’exploration occidental est tout à fait compréhensible. "Notre équilibre économique aujourd'hui lié à la Chine"Mais je ne suis pas sûr, si on revient en France, que tout le monde perçoive clairement à quel point notre équilibre économique (je n’ose pas parler de santé) est aujourd’hui lié à la Chine :• L’inflation reste maîtrisée, mais le doit-on à la modération des revendications salariales françaises (çà se saurait) ou à une diminution des coûts d’approvisionnement de nos biens de consommation dont l’usine est en Chine ? De fait, au risque d’être totalement provocateur, le pouvoir d’achat des salariés français est largement préservé voire augmenté grâce à des conditions de travail chinoises hors de toute imagination pour nos syndicalistes malthusiens nationaux.• Mais notre commerce extérieur est également fortement dépendant de la Chine, même si les entreprises françaises ne passent pas toujours pour les plus offensives et les plus exportatrices du monde occidental. La Chine est en effet, encore pour quelque temps, un acquéreur de technologies et de biens d’équipement, nécessaires à l’atteinte compréhensible d’un niveau mondial de compétitivité. Tant mieux pour nos entreprises qui, si elles n’étaient pas présentes, seraient de toutes façons remplacées dans la file d’attente par celles des autres grandes nations occidentales pourvoyeuses de ces solutions. Mais a-t-on conscience que nous ne sommes pas ici dans un flux durable récurrent, même s’il est ponctuellement puissant ? A-t-on conscience qu’appuyer ces transferts et ces apports de compétence, même si on a l’illusion de la coopération ou des Joint Venture, sert considérablement plus l’avenir à long terme de la Chine que le notre ? • Quant aux biens de consommation que momentanément la Chine absorbe par mimétisme comportemental, pensez-vous qu’elle va longtemps accepter que les sacs Vuitton ou, plus populairement, les vêtements Lafuma, auxquels sa main d’œuvre contribue à quelques Yuan de l’heure, continuent à exporter de la marge au profit des actionnaires occidentaux. D’ailleurs, la reprise de Marionnaud par le tycoon chinois Li Ka Shing cette année, saluée par les plus hautes autorités de l’état comme salvatrice de l’emploi (ne pas confondre avec le travail) en France, n’est-elle pas un premier signe d’un rapatriement partiel vers l’empire du Milieu d’une valeur ajoutée si intimement liée à notre culture. "Accompagner le mouvement avec circonspection"En fait, mon propos n’est pas de culpabiliser les acteurs économiques français et européens eux-mêmes qui remplissent au mieux leur mission économique ni de tenter de freiner une tendance macro-économique mondiale qui est créée par le « trou noir » chinois, mais d’apporter une touche de lucidité dans ce mouvement et d’inciter notre environnement politico-économique, qui a la responsabilité de notre avenir à accompagner avec circonspection ce mouvement, plutôt que de hurler avec les loups. Cela passe par :• Pour l’immédiat, multiplier l’apprentissage approfondi de la culture chinoise et stimuler la vigilance des acteurs économiques dans l’établissement de leurs relations avec leurs partenaires.• Pour l’avenir, organiser les moyens d’un retour à une moindre dépendance, ce qui passe par la création d’une richesse nationale (éventuellement européenne) qui soit fondée sur la redécouverte du travail, la culture de la conquête et l’émergence de grandes innovations fruits d’une Recherche bien délaissée depuis de nombreuses années. "Jeu de go : la stratégie de l'encerclement et de l'étouffement"Que vient donc faire le Go dans ce discours ? Précisément, le Go est un jeu de stratégie chinois (d’un niveau de complexité comparable aux échecs) mais qui illustre bien le principe de l’offensive chinoise : occuper l’espace d’une façon apparemment non prévisible et vaincre sans tuer, par l’encerclement et l’étouffement. Apprendre à y jouer est instructif de ce qui nous attend si nous n’arrivons pas à intégrer cette donne. La grande force des chinois est que leur expansionnisme (je ne dis pas impérialisme) n’est pas territorial ou agressif, mais habilement culturel et de conquête par l’intérieur (un peu comme ces insectes qui pondent dans leurs victimes qui leur servent ensuite de couveuse, nourrice et garde manger).Allez ! Apprenez à jouer au Go (www.jeudego.com pour en savoir plus sur le jeu lui-même). C’est divertissant et c’est l’avenir !!! "Dominique Pagès, Conseil en StratégieSite Web : PromEst

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