
Un "scandale évolutif" sous le microscope
D'où l'intérêt d'une étude récente sur le génome d'un "rotifère bdelloïde", un animal microscopique que l'on trouve dans les milieux humides et qui a la particularité d'être censé se reproduire de manière exclusivement asexuée. Menée le cadre d’un consortium international codirigé par le CEA-Genoscope et l’Université de Namur, à laquelle outre l'Inra, a participé le CNRS, une plongée dans le génome a apporté des éléments scientifiquement déterminants.
Les résultats viennent en effet confirmer les données biologiques et paléontologiques suggérant que les rotifères bdelloïdes se reproduisent de manière exclusivement asexuée depuis des dizaines de millions d’années. Ce "scandale évolutif", considéré jusqu’à présent avec scepticisme par une partie de la communauté scientifique, est maintenant expliqué : l’analyse du génome d’un bdelloïde révèle une structure incompatible avec la reproduction sexuée ainsi que des mécanismes permettant d’éviter les conséquences génétiques néfastes de l’asexualité. Ces résultats sont publiés sur le site de Nature le 21 juillet 2013.
Pas de chromosome homologue comme pour les espèces animales
La reproduction asexuée est souvent considérée comme une impasse évolutive. En effet, ce mode de reproduction est censé entraîner au fil des générations une accumulation de mutations délétères (c’est-à-dire engendrant un désavantage pour les organismes qui les portent) conduisant de manière inévitable à l’extinction de l’espèce. Pour cette raison les chercheurs s’intéressent depuis longtemps aux rotifères bdelloïdes, animaux microscopiques au mode de reproduction apparemment strictement asexué.
L’analyse du génome du rotifère bdelloïde Adineta vaga a permis de prouver qu’il est incapable de reproduction sexuée. En effet, cette dernière implique que les chromosomes homologues, provenant des deux parents, portent des gènes dans le même ordre. Or les chercheurs ont découvert que les gènes de cet animal existent bien en deux copies mais dans des ordres différents, et parfois même sur un seul et même chromosome : il n’existe donc pas de chromosome homologue comme dans le cas des espèces animales séquencées jusqu’alors. Une telle organisation ne permet pas la formation de gamètes (cellules sexuelles impliquées dans la reproduction), or sans gamètes, pas de reproduction sexuée.
Un "copier-coller génétique" pour éviter les mutations délétères
Par ailleurs, l’analyse a révélé des traces abondantes de conversions géniques, une sorte de "copier-coller génétique" au cours duquel une copie d'un ou plusieurs gènes est recopiée sur un autre exemplaire, ailleurs dans le génome, en le remplaçant. Les auteurs de l’étude avancent que ce mécanisme pourrait atténuer grandement l’accumulation de mutations délétères, voire l’éliminer complètement.
Cette étude ne clôturerait pas seulement le débat concernant l’asexualité supposée des rotifères bdelloïdes : de manière peut-être plus importante encore, elle suggère que les scientifiques peuvent maintenant déterminer si une espèce est sexuée ou non en analysant la structure de son génome. Si les rotifères bdelloïdes ont été capables de survivre sans reproduction sexuée pendant des millions d’années, il est probable qu’ils ne soient pas les seuls animaux dans cette situation.
Ainsi cette étude remet en cause l’idée communément admise selon laquelle la reproduction sexuée est indispensable aux espèces animales pour se perpétuer. Elle montre également que l’asexualité est aussi une stratégie évolutive viable sur le long terme pour certaines espèces animales.
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