Harcèlement moral : le mal caché de l'entreprise

Posté jeu 25/05/2000 - 00:00
Par admin

Le sujet est de moins en moins tabou. Il a fait l'objet d'un débat à Sophia Antipolis, sous ses deux angles, psychologique et juridique. Il semble que le harcèlement moral sévisse moins dans les start-ups !

La sortie du livre de Marie-France Hirigoyen il y a deux ans sur ce thème ('Le harcèlement moral - la violence perverse au quotidien', Editions Syros) a délié bien des langues. Dans le monde du travail, on parle désormais davantage de ce sujet, hier aussi tabou que le harcèlement sexuel. Il était à l'ordre du jour d'une conférence-débat qui s'est tenue mercredi 24 mai au CNRS à Sophia Antipolis.Elle a établi des passerelles intéressantes entre l'approche psychologique de Marie-France Hirigoyen, psychiatre, et l'approche juridique présentée par Alain Chirez, avocat au barreau de Grasse, spécialiste de droit social et maître de conférence à l'Université de Nice. Alain Chirez est aussi l'auteur d'un roman dont le harcèlement moral est la trame, '2044 C.C - Des cadres à l'article de la mort' (Editions du Losange).Une atteinte à la dignité de la personnePour le Dr Hirigoyen, 'le harcèlement moral est une réalité quotidienne pour beaucoup de salariés'. Elle le définit comme 'toute conduite abusive - gestes, paroles, comportements... - qui portent atteinte, par sa répétition, à la dignité physique et psychique d'une personne. Ce sont des petites choses en apparence anodines qui peuvent miner un individu : attaques racistes ou sexistes, décisions contestées systématiquement, rétention d'information...'A la lumière des différentes enquêtes sur le sujet et de sa propre expérience, elle estime que tout le monde peut être victime un jour de harcèlement : 'Il n'existe pas de profil type du harcelé, ce ne sont pas forcément des personnes faibles. Tout individu a ses failles, il peut avoir une faiblesse à un moment donné - problèmes de santé, de divorce... - qu'un supérieur hiérarchique ou un collègue peut exploiter pour le déstabiliser'.Cela concerne les deux sexes, même si on note des nuances de comportement : les femmes sont plus nombreuses à s'en plaindre, les hommes ont plus de mal à s'avouer victimes, ce qui les conduit davantage au suicide ou à la tentative de suicide. Tous les âges sont concernés, toutes les catégories socioculturelles, tous les niveaux hiérarchiques... avec une prédominance chez les cadres, soumis à une forte pression psychologique.Les start-ups plus épargnéesM.F Hirigoyen note également des différences selon le type de milieu professionnel : le harcèlement semble plus fréquent dans les PME que dans les grandes entreprises où les syndicats veillent à la défense des salariés (bien que les délégués syndicaux sont parfois souvent l'objet de harcèlement moral).Les lieux les plus propices au harcèlement semblent être les grandes administrations - l'emploi y étant protégé, on tente de pousser à la démission les personnes jugées indésirables -, les institutions internationales, lieux de multiples perfidies, le secteur médico-social, les associations humanitaires, où les luttes de pouvoir se révèlent paradoxalement assassines...Le harcèlement serait plus fréquent dans les services administratifs que dans les unités de production : le travail, moins quantifiable, peut davantage faire l'objet de critiques. En revanche, il semble que le harcèlement sévisse moins dans les start-ups. Peut-être parce que la hiérarchie y est moins pesante ? Surtout parce que la plupart des salariés sont recrutés dans des conditions de précarité : 'les gens sont jetés avant d'être harcelés !'Le clou qui dépasseSelon les cas, le harcèlement est vertical, émanant de la direction, ou horizontal, provenant d'un collègue ou d'un petit chef. Qui est harceleur ? 'Cela peut venir d'un individu pervers qui prend un malin plaisir à casser les autres, d'une personne instable qui, n'étant pas sûre de sa propre compétence, a besoin d'inférioriser les autres. Cela peut venir aussi de la direction de l'entreprise, qui utilise les gens comme des pions et trouve dans le harcèlement une façon de se débarasser à bon compte de personnes qui gênent. Un proverbe japonais dit : 'Le clou qui dépasse rencontrera le marteau.'Le monde du travail actuel a tendance à vouloir niveler tous les individus au même format. L'entreprise a de plus en plus peur des conflits, elle veut donner d'elle une image lisse. Aussi, plutôt que d'affronter des situations conflictuelles avec un salarié, on préfère parfois, plus insidieusement, le pousser à bout de façon perverse. Dans l'enseignement du management, on n'apprend pas assez à respecter les individus, à ménager les susceptibilités.'Marie-France Hirigoyen met toutefois en garde contre les accusations abusives de harcèlement moral : il ne faut pas le confondre avec les stress au travail, dans lequel il n'y a pas d'intentionnalité malveillante, ou les conflits professionnels : dans ce cas, les reproches sont nommés, on peut y faire face.'Stress, dépression, suicide...Les conséquences du harcèlement moral sur la santé sont souvent graves : pathologies liées au stress (nervosité, troubles du sommeil, consommation d'alcool ou de tabac...), dépression qui peut aller jusqu'au suicide... Troubles psychosomatiques aussi, 'car tout ce qui relève du non-dit s'exprime par le corps : colites, ulcères, crises d'hypertension... 'Comme les victimes de viol, les victimes de harcèlement manifestent un stress post-traumatique, continant à souffrir même une fois sorties de leur situation traumatisante : 'phénomènes de réminiscences, phobies... cela peut donner des personnes non réinsérables dans le monde du travail.'Une loi en projetUn projet de loi sur le harcèlement moral est en cours à l'Assemblée Nationale : M.F Hirigoyen a participé au groupe de travail sur ce thème.Très favorable à une nouvelle loi, elle insiste cependant sur l'importance de la prévention et de la responsabilisation des différents acteurs : les victimes potentielles, qui doivent apprendre à dire non, les témoins, qui ont le devoir de dénoncer, les dirigeants, qui ne doivent pas fermer les yeux sur le comportement de petits chefs ni cautionner eux-mêmes ce type de management, 'car au final, il coûte cher à l'entreprise, en arrêts maladies, en perte de confiance des salariés attaqués, mais aussi en démotivation de tous les collaborateurs, chacun se disant 'demain, ce sera mon tour...'.De son côté Alain Chirez a dressé l'inventaire des différents outils juridiques existants pour contrer le harcèlement moral, dans le cadre du droit pénal, du droit civil (action en responsabilité civile), comme du droit du travail : requalification de la démission en licenciement abusif, obtention de la nullité du licenciement... Il a conclu sur l'insuffisance de l'arsenal juridique actuel, et sur la nécessité d'une nouvelle loi. Elle contribuera, selon lui, à mieux définir le harcèlement moral, à prévoir la réparation des conséquences et à favoriser la prévention.Les multiples interventions et questions dans le public - victimes de harcèlement, syndicalistes, médecins du travail, inspecteurs du travail... - ont démontré à quel point le sujet est aujourd'hui sensible.

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