Docteur es sciences en "poil à gratter", comme il se définit, Dominique Pages, fondateur du cabinet conseil Promest à Sophia Antipolis s'interroge sur cette culture de l'assurance qui s'installe dans les moindres actes de notre vie. Si l'assurance apporte une consolidation au développement de nos sociétés en rassurant le souscripteur sur lavenir de ses actes ne porte-t-elle pas en elle-même les germes dune contradiction majeure, questionne-t-il. Plus concrètement, en assurant chaque pas de notre vie, nenlève-t-elle pas ce qui en est précisément lessence et lenjeu : la confrontation à linconnu et lappréciation (ou la prise de conscience raisonnée) par lindividu du risque auquel il peut être confronté? Démonstration, d'une plume toujours alerte et pleine d'humour A méditer.
Quand lAssurance peut tuer lenvie (la vie ?)
Depuis plus de 60 ans lEurope occidentale ne connaît plus de guerre sur son territoire et son économie a en parallèle eu une croissance comme jamais auparavant. Légitimement, cette acquisition de richesse plutôt partagée (même si on ne peut ignorer les laissés pour compte) a conduit tant les individus que les entreprises a rechercher des moyens de protéger ces acquis, quil sagisse dargent évidemment, mais aussi de situations professionnelles.
Doù lémergence dune économie -mais en fait plus que çà-, dune culture de lassurance qui devient aujourdhui présente dans tous les actes de notre vie. Ainsi, après la protection des prêteurs (la plus évidemment compréhensible) sest petit à petit insinuée dans tous les compartiments de la vie la question dune assurance : pour les loyers impayés au profit des bailleurs, pour la perte de bagages, de papiers, de cartes bancaires, les annulations de voyages, (lénumération serait longue) mais aussi pour lexercice de sa profession ou des actes de gestion (cest beaucoup plus surprenant) que ce soit sous la forme dassurance proprement dite ou de clauses de protection contractuelles (les parachutes ou autres dispositions moralement « limites » -cf laffaire UIMM). Sans parler du tabou français que sont les piliers de notre « modèle » social : assurance chômage ; assurance maladie et assurance vieillesse.
Bien entendu chacun de ces contrats ou dispositifs a sa propre logique qui sert dailleurs sa promotion auprès des souscripteurs (volontaires ou obligatoires). Cette logique sappuie sur deux ressorts psychologiques puissants auquel nul ne peut être émotionnellement indifférent, surtout si le risque implique un tiers identifié:
avec évidemment chaque fois des arguments bien construits sur la valeur absolue du risque auquel vous vous exposez (ou exposez vos proches), rarement sur leur occurrence.
Quelles sont les principales conséquences de cette « sur-assurance » dans laquelle nous baignons quotidiennement :
De fait lassurance a apporté et continue dapporter matériellement comme psychologiquement, notamment au moment de sa souscription (peut-être plus que dans lexercice lui-même des garanties), une consolidation au développement de nos sociétés en rassurant le souscripteur sur lavenir de ses actes. Mais, en même temps, ne porte-t-elle pas en elle-même les germes dune contradiction majeure : en assurant chaque pas de notre vie, nenlève-t-elle pas ce qui en est précisément lessence et lenjeu : la confrontation à linconnu et lappréciation (ou la prise de conscience raisonnée) par lindividu du risque auquel il peut être confronté.
Voici quelques effets pervers sur notre société et nos comportements qui illustrent cette dérive :
Mais si lon regarde les sociétés émergentes, donc non occidentales, chez lesquelles les assurances nont pas encore le poids quelles occupent chez nous, on peut sinterroger si le taux dassurance de la population (professionnelle, mais surtout individuelle) nest pas un indicateur inversement proportionnel de leur dynamisme et de leur croissance. Comme si lassurance était un breuvage « bromuré » agréable mais stérilisant. Pour illustrer ce commentaire par un exemple : en Russie, lassurance obligatoire (depuis moins de 10 ans) pour les véhicules a eu pour effet de multiplier les sinistres et daugmenter leur coût dans des proportions considérables, encouragée en cela par des primes élevées . Dans le débat du pouvoir dachat qui occupe actuellement la France politico-médiatique, il est forcément secondaire dévoquer une régulation (plutôt une remise en question) de cet univers psychologiquement confortable et anesthésiant de nos envies.
Ainsi, plus que des mesures de défiscalisation, le dynamisme et la vie de nos sociétés (pas uniquement économique) passe par un retour à la responsabilisation individuelle face au futur et à la rémunération du risque (plus quà sa neutralisation). A ce titre, la publication annuelle pour chaque personne de sa couverture en assurances de toutes sortes (forcément techniquement complexe) aiderait à découvrir et comprendre lenjeu de cet aggiornamento salutaire pour la (sur) vie de notre société.
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L'éco de la Côte.