Julien Musso : pourquoi la souveraineté numérique est un sujet majeur pour la France

La crise sanitaire a mis en évidence la dépendance de la France dans de nombreux secteurs stratégiques vis-à-vis notamment de la Chine. Mais qu’en est-il du secteur du numérique ? Pour Julien Musso, co-fondateur et directeur de SmartProfile à Sophia Antipolis (la solution marketing automation de NSO), une relocalisation est nécessaire pour regagner notre souveraineté. Voici son texte.

Julien Musso

"La crise du Covid-19 a eu la vertu de mettre en lumière certaines défaillances dans la chaîne d’approvisionnement de produits de premières nécessités et dans de nombreux secteurs. Que ce soit pour une vis manquante bloquant la fabrication de montures optiques produites dans le Jura ou encore pour le manque de composants nécessaires à la production de tableaux de bords, la mise en pause des usines à travers le monde a permis une prise de conscience quant à la trop grande dépendance de la France dans des secteurs aussi vitaux que l’industrie pharmaceutique.

Un secteur du numérique stratégique pour les années à venir

Fort de ce constat, le président de la république a appelé à un sursaut de notre industrie pour retrouver une partie de notre souveraineté nationale qui s’est inexorablement effilochée depuis des années voir des décennies.

Si la crise du Covid-19 a permis cette mise en lumière d’une nécessaire relocalisation dans de nombreux secteurs, il en est pourtant un pour lequel peu de nos politiques se sont interrogés quant aux conséquences d’une trop forte dépendance vis-à-vis de pays extra européens. Ce secteur est celui du numérique qui a montré à quel point il était stratégique pour les années à venir et à très court terme pour la transformation à Vitesse grand nécessaire des entreprises pour permettre une continuité dans leur activité.

Cette crise a ainsi contribué à accélérer l’adoption et l’usage du numérique d’une manière fulgurante et ce au bénéfice des principaux acteurs américains, GAFAM en tête. Et si beaucoup se sont interrogés sur la trop forte dépendance de nos entreprises vis à vis d’acteurs notamment chinois, trop peu ont su prendre du recul sur notre trop forte dépendance numérique vis-à-vis d’acteurs extra européens.

Le cas des failles de sécurité de Zoom et les questions que cela entraine vis-à-vis notamment de la conformité de certains acteurs ou solutions quant au RGPD n’a pas ému plus que cela durant cette crise.  Mais ce qui est valable en termes de souveraineté pour les industries pharmaceutiques ou de première nécessité ne devrait-il pas l’être également pour le secteur du numérique ?

La souveraineté des données : garder la main sur les données sensibles

Les consommateurs génèrent toujours plus de données que ce soit au travers des sites Internet qu’ils consultent, des applications téléchargées ou des objets connectés. La collecte et l’hébergement de ces données sont très encadrés en Europe avec l’avènement du RGPD mais comment s’assurer de leur bonne utilisation lorsque ces données sont hébergées en dehors de la France et de l’UE. Il y a une vraie prise de conscience de la part de nos clients, dont des institutions publiques, pour s’assurer que les données sur leurs contacts sont bien hébergées sur le territoire français pour éviter toute mauvaise surprise

Car aujourd’hui bon nombre de données, y compris stratégiques pour des entreprises françaises sont hébergées dans le Cloud d’acteurs américains comme Amazon (AWS) ou Azure (Microsoft) qui sont tous deux soumis au Patriot Act et au Cloud Act.

Nous ne pouvons pas avoir la garantie que les données de nos clients se trouvent bien physiquement dans des Data Center en France car les procédures de réplication et de sauvegarde ne garantissent pas qu’une partie des données ne se retrouvent pas à un instant T hors de l’UE, c’est pour cela que nous avons choisi de garder la main sur une partie de notre infrastructure avec la garantie sur la localisation de l’hébergement des serveurs et des sauvegardes.

Il parait essentiel à l’heure où la guerre économique s’intensifie entre grandes nations de garantir la souveraineté de nos données et encore plus lorsqu’il s’agit de données dans des secteurs sensibles.

Pour un code et des algorithmes "Made In France"

Pour gagner en compétitivité, bon nombre d’industries ont décidé de délocaliser au fil du temps. Cela a été le cas avec l’industrie textile et plus récemment avec l’industrie pharmaceutique avec les conséquences que nous connaissons. Une des conséquences à moyen terme est la perte de savoir-faire dans de nombreuses industries et c’est peut-être là un risque majeur pour l’industrie du numérique.

La tendance est à l’off-shore pour le développement informatique, je suis assez effaré de voir certains de nos concurrents se réclamant acteurs français du numérique et délocaliser leur développement en Inde. Il est essentiel d’investir dans la formation en informatique pour les générations à venir d’étudiants car il y a actuellement un manque de ressources qui nous pénalisera sur le long terme sous peine de quoi nous connaitrons acteur du numérique le même sort que les acteurs de l’industrie du textile.

C’est justement dans la technopole de Sophia Antipolis que l’entreprise a décidé d’investir en capital humain. "Cela fait partie aussi de notre mission de transmettre notre expertise auprès des jeunes générations mais aussi de nous mettre à niveau en continu pour avoir une longueur d’avance en matière de technologie" insiste toujours Romain Didier, le Lead développeur de la société.

Un des risques principaux pour les années à venir est de ne plus maitriser les technologies et notamment les algorithmes d’Intelligence Artificielle qui régiront nombre de services dans les années à venir.

Nous pourrions aller à la facilité et utiliser des algorithmes sur étagère mais cela nous pénaliserait sur le long terme et c’est pour cela que nous avons décidé de nouer un partenariat avec l’INRIA, pour inventer, co-produire et maitriser nos algorithmes qui représentent notre capital de demain.

Car c’est un fait qu’en utilisant des algorithmes notamment des GAFAM ne fait que renforcer notre dépendance et améliorer un peu plus leur apprentissage en creusant le gap avec nos technologies.

Il est primordial si nous voulons conserver notre souveraineté de maitriser les algorithmes d’intelligence artificielle et de les alimenter collectivement pour qu’ils restent pertinents.

Le sujet délicat des données comportementales

A l’ère du Digital et du tout connecté, les entreprises doivent avoir une réelle prise de conscience quant aux conséquences du choix des plateformes qu’elles utilisent, pour gérer l’analyse de leurs données et la gestion de leurs campagnes.

Nous avions alerté en 2006 du risque que pouvait représenter une solution gratuite comme Google Analytics en termes d’exploitation des données consommateurs à l’insu des marques et des consommateurs eux-mêmes. Mais cela a été peine perdue. Et de me remémorer le procès que NSP avait entamé en 2006 contre Google pour pratique concurrentielle déloyale, procès qui a tourné à l’avantage du géant américain.

Le choix de solutions "Made In France" permet aussi de garantir la bonne exploitation des données par des partenaires de confiance, respectant la réglementation européenne en matière de protection des données à caractère personnel, non seulement pour protéger les consommateurs mais aussi pour préserver l’intégrité du business des annonceurs.

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