La LEN (Loi sur l'Economie Numérique) vue par Me Lionel Revello

Posté ven 16/04/2004 - 00:00
Par admin

Avocat au Barreau de Grasse, Président délégué de l'Observatoire National Internet & Professions Libérales API-PL, Lionel Revello analyse les nouvelles dispositions du premier texte fondateur des tables de la loi... numérique, texte que le Sénat vient d'adopter.

Avocat au Barreau de Grasse, Cabinet Lionel Revello Avocats, Président délégué de l'Observatoire National Internet & Professions Libérales API-PL, Lionnel Revello apporte le regard du juriste sur la LEN (Loi sur l'Economie Numérique) que les sénateurs viennent d'adopter. Voici son analyse"On s'y attendait, et c'est désormais chose faite. Le Sénat a ainsi retouché en seconde lecture dans la nuit de jeudi à vendredi le projet de loi sur l'économie numérique (LEN). Le texte doit encore être examiné en commission mixte paritaire pour aboutir à une version finale approuvée par les deux chambres du Parlement à moins d'un recours devant le Conseil Constitutionnel.Ce texte définit pour la première fois la communication publique en ligne, il s'agit en effet du premier texte fondateur des tables de la loi... numériqueOn se souvient que la LEN avait de nombreux objectifs. Tout d'abord, la transposition de la directive européenne du 8 juin 2000 sur le commerce électronique (Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur) et, de la directive européenne 2002/58/CE du 12 juillet 2002 sur la protection des données personnelles dans les communications électroniques.Deux mesures étaient particulièrement attendues : la première concernait l'obligation de filtrage de l'Internet par les fournisseurs d'accès et celle de la surveillance du contenu par les fournisseurs d'hébergement. Enfin la réglementation sur le « Spam » devait également être évoquée.L'abandon de la technique du filtrage au profit de la procédure obligatoire de notification au Fournisseur d'accès Internet ou à l'Hébergeur de siteLes FAI et hébergeurs de site ont eu chaud ! En effet, sur la responsabilité des prestataires d'Internet, les sénateurs ont mis la LEN en accord avec la directive européenne sur le commerce électronique. En effet, la technique du filtrage par les FAI n'était pas prévue par la directive européenne sur le commerce électronique, même si les députés avaient quant à eux réintroduit une obligation à la charge des FAI et hébergeurs de site dite de surveillance généralisée du web ou plutôt destinée à mettre en oeuvre « les moyens conformes à l'état de l'art » pour empêcher la diffusion d'informations constituant des infractions (racisme, pédophilie).Or, cette mention imposait donc aux FAI et hébergeurs de procéder à une recherche active et généralisée d'infractions sur le web, ce que la directive européenne interdit expressément.Or, après analyse technique, chacun s'est vite rendu compte, qu'aucune solution ne pouvait assurer seule la prévention de l'exposition des jeunes à des contenus préjudiciables d'autant que la plupart des infractions actuelles sont le fait plutôt d'échange illégal de fichiers musicaux sur les réseaux de peer-to-peer.Les sénateurs ont décidé de supprimer la possibilité pour le juge d'ordonner à un fournisseur d'accès de bloquer l'accès à un contenu en ligne par ses abonnés, le Sénat a fait le choix de s'en remettre aux pouvoirs que le juge judiciaire tire du droit commun.La notification préalable obligatoire des FAI et Hébergeurs ou de l'instauration de la nouvelle mise en demeure numérique...Tout le problème tournait autour de l'article 14 de la directive qui stipule que les prestataires ne sont pas responsables des sites qu'ils hébergent, tant qu'ils n'ont pas connaissance de leur caractère litigieux.Aussi en présence de la notification afin de suppression d'un contenu illicite, le fournisseur d'hébergement pourra adopter deux positions :- soit la prudence, consistant à bloquer l'accès au site dès qu'un tiers lui en fait injonction.- soit se faire juge du caractère licite ou non du contenu hébergé.Il est clair que l'intrusion de cette justice privée choque l'ensemble des acteurs et pour cause, des dérives peuvent exister comme le fait de lancer une notification dont le réel objet serait la fermeture du site d'un concurrent.Certes l'alinéa 5 de l'article 2 bis précise les modalités que doit comporter cette notification :- la date de la notification- les coordonnées du notifiant- la description des faits litigieux- les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits- la copie de la correspondance adressée à l'auteurEt c'est donc à partir du moment ou ils ont connaissance de cette notification et qu'ils n'auraient pas agi promptement afin de faire cesser le trouble que les FAI engageraient leur responsabilité.Il ressort de ce texte qu'il appartient désormais au prestataire de décider s'il donne suite ou non à la demande de retrait du contenu dénoncé, et de se retrouver ensuite le cas échéant devant le juge s'il ne donne pas suite.Gageons que les recours vers le Juge des référés devraient se multiplier du côté du notifié en cas de suppression illicite de son site.A ce propos, les sénateurs ont également modifier une partie de l'article 2bis, qui précise ce que l'autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête conformément à nos bons vieux articles 808 et 809 du NCPC.Mais, une polémique gronde déjà sur les mesures « propres à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication publique en ligne » à savoir des mesures « visant à cesser de stocker ce contenu ou, à défaut à cesser d'en permettre l'accès » Ces dernières dispositions ont disparu du texte des sénateurs et l'Industrie du disque s'inquiète de la nouvelle mouture du texte craignant que les pouvoirs du juge soient remis en question par les FAI.Il semble que l'AFA (Association des Fournisseurs d'accès) n'ait crié victoire un peu vite tant elle interprète le texte des sénateurs comme la suppression de la possibilité pour le juge d'ordonner à un fournisseur d'accès de bloquer l'accès à un contenu en ligne par ses abonnés. Le Sénat ayant fait le choix de s'en remettre aux pouvoirs que le juge judiciaire tire du droit commun.Or, n'oublions pas que les articles 808 et 809 du nouveau code de procédure civile permettent au juge de prendre toute décision utile pour faire cesser le dommage, y compris pour suspendre l'accès au contenu incriminé. Il peut, entre autres, s'adresser à l'éditeur, à l'hébergeur, ou même au fournisseur d'accès pour faire couper le compte d'un abonné. Tout disposition privilégiant une mesure sur une autre restreindrait sa liberté, et pourrait lui faire ignorer d'autres possibilités permises par la technologie.La mention spéciale contre le piratage devient obligatoireLes sénateurs ont décidé d'obliger les FAI de faire figurer dans leurs publicités vantant les opportunités du téléchargement une mention « facilement identifiable et lisible rappelant que le piratage nuit à la création artistique »Pas de droit particulier pour l'e-mailingLes sénateurs n'ont pas réintroduit de caractère privé spécifique pour le courriel qui demeure régi par la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications qui est garanti par la loi. Il ne peut être porté atteinte à ce secret que par l'autorité publique, dans les seuls cas de nécessité d'intérêt public prévus par la loi et dans les limites fixées par celle-ci.Par un effet rétroactif, les titulaires d'adresses légalement collectées devront être sollicités dans un délai de six mois après l'entrée en vigueur de la loi pour retirer leur accord à l'utilisation de leur e-mail à des fins de « prospection directe ».Nouvelle infraction informatique pour lutter contre la CybercriminalitéL'article 34 de la LEN crée une nouvelle infraction pénale ( art 323-3-1) pour « ceux qui mette à disposition un équipement, un instrument, un programme informatique ou toute donnée conçus ou spécialement adaptés pour commettre une ou plusieurs des infractions prévues par les articles 323 -1 à 323-3 »Les collectivités locales deviennent opératrices TélécomsLes sénateurs n'ont pas modifié l'article 37 bis A permettant aux collectivités territoriales de devenir opérateurs de télécommunications. Ces dernières auront le droit d'établir et d'exploiter des infrastructures de télécommunications et de les mettre à la disposition d'opérateurs ou d'utilisateurs finals.Les professions réglementées et le commerce électroniqueSelon l'article 6 de la LEN : « le commerce électronique est l'activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services ».L'article 9 vient encore préciser les modalités obligatoires d'identification du prestataire de services ( nom, prénom, adresse, numéro de Tva).Enfin, les professionnels libéraux se réjouiront du fait qu'ils n'ont pas été oubliés du texte, dans la mesure ou l'alinéa 6 de l'article 9 dispose que le prestataire « si il est membre d'une profession réglementée, doit faire référence aux règles professionnelles applicables, son titre professionnel, l'Etat membre dans lequel il a été octroyé ainsi que le nom de l'Ordre ou de l'organisme professionnel auprès duquel elle est inscrite », le nouvel article 1er bis allant jusqu'à modifier l'article 66 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, en remplaçant les mots : « communication audiovisuelle » par les mots « communication au public par voie électronique »."Maître Lionel Revello, Avocat

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