courtade_dpr_550.jpg Anny Courtade est ce que l'on peut appeler un personnage de la grande distribution française. Présidente de Lecasud, la centrale d'achat de Leclerc dans le sud-est (un milliard d'euros de chiffre d'affaires annuel), du Centre Leclerc Melhodi au Cannet, cette ancienne professeur de lettres est aussi présidente de la commission "adhérents" du groupement Leclerc. Des activités professionnelles qui n'empêchent pas ce "patron" hyperactif de s'occuper entre autres de sport à travers la présidence du Racing Club de Cannes Volley-ball féminin avec une équipe qu'elle a menée plusieurs fois au titre de championne d'Europe. Cela sans compter des activités sociétales comme membre élu de la CCI Nice Côte d'Azur, ou présidente de l'Orchestre régional de Cannes Provence Côte d'Azur ou encore présidente du Club APM (Action, Progrès, Management). Et ce ne sont là que quelques exemples.
Très souvent à la Une des médias régionaux, Anny Courtade est bien connue du public. Trop connue même. Tant et si bien que l'on ne retient souvent d'elle que la façade, le visage de la femme qui a si bien réussi. Pour le cinquième de ses Entretiens Privés, Dominique Perron Rousset a cherché à aller plus loin et à percer la carapace du chef d'entreprise et de la femme publique. Fondatrice de Tara Communication, cabinet conseil en image et management spécialisé en communication financière, Dominique Perron-Rousset s'attache à l'autre visage d'Anny Courtade, la "dame de fer" de la grande distribution française. Il se découvre dans l'entretien retranscrit ci-dessous ainsi que dans "Le questionnaire de Proust".
Lenvironnement
Je me gare dans le parking, en sous-sol, du centre Leclerc et me dirige jusquà lentrée discrète des bureaux. Laccueil est animé. Un fournisseur attend et, derrière le comptoir, 3 personnes parlent dont lassistante dAnny Courtade qui me salue puis memmène jusquau bureau de la dirigeante.
Le bureau dAnny Courtade est toujours ouvert. Debout et souriante, toute de noir vêtue, elle minvite à masseoir. Son grand espace de travail, comme elle aime à le souligner, est rempli de documents. Pas un centimètre carré qui ne soit occupé. Les grandes étagères en bois qui couvrent une partie du mur sont chargées de livres.
Sur le mur, sont accrochés des photos, des croquis humoristiques et je remarque aussi une toile, rouge, de Ben (qui la suit depuis longtemps) "Lessentiel est que je communique". Je le constaterai, lors de linterview, elle aime solliciter ses collaborateurs pour connaître leur point de vue.
Limage dAnny Courtade et de son entreprise
DPR- Au sein de votre entreprise comment pensez-vous être perçue ? AC- Sévère mais juste et à lécoute. En effet, je pense que sans autorité, il ne peut pas y avoir dordre, de réflexion, de responsabilité et de résultats. Il ne faut pas oublier que je suis un ancien professeur et cela laisse des traces
Comment êtes-vous, vraiment ? Je ne suis jamais satisfaite. Je suis toujours perfectible sinon je serais en régression. Je suis, également, en état de veille permanente que ce soit pour les êtres humains ou pour les faits. Je pense que les gens me perçoivent beaucoup plus sévère que je ne le suis car jessaye de me protéger par une carapace.
Comment souhaiteriez-vous être perçue ? Comme un patron responsable, comme un entrepreneur car jai la passion de FAIRE et, également, comme quelquun dinnovant, dans mon métier. Une femme didées, daction et danticipation. Cest un métier ou il faut, en permanence, anticiper les besoins des clients.
Sur quels points, personnellement, travaillez-vous pour y arriver et progresser ? Par lintrospection, par la réflexion notamment lors des échecs, pour en tirer une leçon. En parlant, en échangeant beaucoup avec mes collaborateurs et également avec mes autres collègues Leclerc puisque je fais partie du comité stratégique du groupe, que je préside la commission dagrément et, que je suis la présidente de la centrale.
Et, aussi avec lassociation APM - Action Progrès Management -, tous les mois nous avons trois quart de la journée consacrée à des travaux. Nous sommes 25 chefs dentreprises et, avec un intervenant de haut niveau, nous travaillons sur un thème que nous avons choisi (leçon magistrale, débat et travaux pratiques).
Auprès de vos clients, comment pensez-vous être perçue ? Les clients me connaissent car jai toujours exploité des hypermarchés ou des supermarchés, en centre ville. Ils me voient dans le magasin, me reconnaissent dans les médias et aussi à travers le sport. Ils sont toujours très étonnés de la multitude de fonctions différentes que joccupe. Ils me félicitent pour les succès, des succès quont mes équipes bien sûr et, ils sy identifient. Surtout les femmes...
Vos fournisseurs, selon vous, comment perçoivent-ils votre entreprise ? Le groupe est perçu comme un mouvement exigeant, surtout au prix de cession de leurs marchandises. Puisque cest notre fond de commerce, nous sommes lenseigne la moins chère de la grande distribution, nous sommes extrêmement vigilants sur les tarifs et le cahier des charges de la qualité des produits.
Et vous, comment vous perçoivent-ils ? Je ne rencontre les fournisseurs que lorsquil y a un réel problème qui na pas été solutionné aux diverses étapes de la négociation. Je crois quils me respectent (je suis la seule femme à occuper ces fonctions) et, sans doute, ils me reconnaissent compétente en la matière. Je pense au respect, également, grâce à toutes les fonctions cuméniques que joccupe, sociales, économiques, culturelles et sportives.
Auprès de vos pairs, quelle image, personnellement, pensez-vous transmettre, à lextérieur de votre entreprise ? Sans doute, comme quelquun ayant un sacré caractère, du dynamisme et de la pugnacité : une battante ! Mais, peut-être, faut-il le leur demander ?
Est-ce que cela vous convient et quaimeriez-vous changer ? Cela me convient en façade mais ceux qui me connaissent savent que je suis hypersensible, voir sentimentale et très fidèle en amitié. Jaimerais être quelquefois moins abrupte, moins directe et, si je le pouvais, éviter de prendre en charge les problèmes de tout le monde.
Parcours de lentreprise
Vous êtes une femme, quavez-vous fait pour vous imposer dans la grande distribution ? Rien, jai travaillé. Jestime quil ny a pas de sexe pour un cerveau et, je ne vois pas pour quelles raisons, on devrait en faire des tonnes Je suis, simplement, un patron. Je nai rien fait de particulier, je ne travaille quavec des hommes et ce sont eux qui mont élue. Jespère quils ne me voient pas comme un homme (rires). Je crois que le fait dêtre une femme, cest un plus. En effet, nous avons les compétences professionnelles dun homme et une intuition, une qualité découte, une sensibilité, une pédagogie différentes.
Vous êtes la présidente dune équipe de volley-ball féminin (le Racing Club de Cannes). Peut-on transposer les méthodes du sport à lentreprise et/ou de lentreprise au sport ? Il y a des valeurs identiques entre lentreprise et le sport. Lesprit déquipe, les objectifs, le respect de lautre, lémulation, le dépassement de soi, lenvie de gagner pour que tous en profitent. Si navez pas cela, vous ne gagnez pas.
Comment faites-vous dans les moments difficiles? Je réfléchis à mon parcours et au chemin que jai parcouru. Je suis née avec des handicaps qui se sont transformés en force. On dit que "le cur se brise ou se bronze" (la carapace). Jai été orpheline de mère à 2 ans, puis de père. Elevée par mes grands parents, des émigrés toscans, qui étaient mineurs. Dans les mines de porphyre bleu au Dramont. (Note de DPR- elle me montre une photo prise à cette époque où lon peut voir ses grands parents et sa mère enfant). On vivait dans des corons au soleil, dans la misère mais dans la solidarité.
Je relativise parce que jai connu de grands chagrins (deux fois veuve) et je tire ma force de toutes ces épreuves. En fait, ma chance est davoir eu de la malchance. Je pense aussi quil y a au dessus de nous, une force qui nous dirige et qui reste le BIEN. Je suis persuadée que les êtres chers qui ont disparu sont seulement silencieux et jamais absents. Ils continuent à veiller sur nous et, dans les moments difficiles, à nous aider à prendre les décisions.
Dans les décisions difficiles, je dialogue beaucoup avec mes collaborateurs et quand jai fait mon miel de tout ce qui peut alimenter ma réflexion, surtout sur les points de vue divergents, je reste seule devant ma décision, ses conséquences et je lassume. Cest la solitude du chef dentreprise. Je dis toujours à mes collaborateurs quils ont le droit à lerreur, je leur donne les moyens de leurs objectifs, ils sont autonomes et responsables mais ils ont obligation de résultats. Et, surtout ne pas faire deux fois la même erreur
La question dactualité
Face au ralentissement économique actuel, quel est votre sentiment personnel sur les actions à entreprendre ? Jaimerais que les médias cessent dalimenter la sinistrose et parlent "positif". Si on veut relancer la consommation et ne pas se confiner à un attentisme et une frilosité désastreuses, nocifs pour le moral et léconomie. On doit transformer cette crise en opportunité pour être plus créatifs, plus vigilants envers la satisfaction client, être encore plus entreprise citoyenne et plus solidaires les uns des autres. Je le crois, profondément.
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L'éco de la Côte.