L'ombre menaçante de Matt Drudge
Sur le Web, le scoop est roi : une nouvelle chasse l'autre dans un flot continu d'informations. Avec les risques de débordements hallucinants qu'a connus l'affaire Lewinski
'Toujours plus vite, partout les premiers', cette formule célèbre d'Albert Londres n'a peut-être jamais mieux trouvé son sens que sur Internet. Sur le web, le scoop est roi : une nouvelle chasse l'autre dans un flot continu d'informations. Dans un support papier, l'information du jour devient très vite obsolète. Sur la Toile, cette logique est poussée à son paroxysme: 'Les sites les plus fréquentés sont ceux qui sont les plus rapides à consulter et ceux qui sont dépourvus de gadgets qui encombrent la lecture'assure Stéphane Billy Gousse, consultant Internet au journal québecois /www.lesoleil.com/">Le Soleil.Zapping informationnelLa ligne éditoriale du Microbulletin illustre bien cette loi du genre. Son rédacteur en chef, Alain Simeray déclarait récemment sur internet : ' Nous sommes un journal de gare. LMB ( 3ans d'existence et 3000 abonnés), doit se lire en 11 minutes maximum'.Du prêt à consommer, en somme.Ce zapping informationnel conduit à des articles courts, incisifs, mais ouverts sur l'extérieur grâce à la politique des liens hypertextes. Un nouveau mode de lecture voit le jour. D'une lecture linéaire, on passe à une lecture inédite crée par le cyberlecteur et les choix qu'il opère. Dans les faits, un article se présente en général de la manière suivante, avec trois niveaux de lecture : l'article, les liens hypertexte et la dimension encyclopédique ( avec archivage des données, consultation des sources officielles etc... ).Le scoop du futurRécemment, dans l'affaire impliquant un membre de la CIA, l'agent Nicholson, arrêté pour avoir servi d'agent d'information à la Russie, l'édition électronique du /www.washingtonpost.com/">Washington Posta aussitôt mis en ligne un dossier de 18 pages relatant point par point les étapes de l'affaire. Plus près de nous : qui n'a pas entendu parlé du fameux rapport Starr disponible sur le Net ? Libération, le Monde et bien d'autres jouèrent le jeu en mettant à la disposition de l'internaute l'intégralité du dossier.Lieu par excellence de l'évènement, le journal électronique s'il veut se démarquer doit produire une information à haute valeur ajoutée, et ce, dans un temps record. Mais, dans la mesure où tout internaute est, par essence un producteur d'information potentiel, que reste-t-il au journaliste face à l'avalanche de scoops disponibles sur le Net. David Shorr, un journaliste américain pense que ' le scoop du futur sera la meilleure interprétation, le meilleur compte-rendu, celui qui vous expliquera pourquoi vous avez besoin de savoir ça'.Le syndrome LewinskiDans cette course au scoop, certains voient déjà l'ombre menaçante du journalisme à l'américaine planer sur les salles de rédaction françaises. Déjà, les plus malins des internautes se sont fait une spécialité d'arriver les premiers sur une affaire et font du scoop leur fond de commerce sans être forcément journalistes. Matt Drudge a ouvert la voie en prenant de vitesse le magazine /www.newsweek.com/">Newsweekdans la révélation du 'Monicagate'.Faute de preuves suffisantes, Newsweek préféra attendre de recouper ses sources. C'était sans compter l'opiniâtreté de ce 'reporter du futur', tel qu'il aime se définir, qui se précipita pour mettre en ligne les détails croustillants sur son journal : le /www.drudgereport.com/">Drudge Report, véritable machine à scoops et à rumeurs. L'affaire Lewinski se répand alors comme une trainée de poudre et fait la une des journaux cyber et classiques. Au nom de la liberté d'expression et de la liberté d'informer, Matt Drudge justifie son coup médiatique qui lui rapporta, lui, non-journaliste d'être invité au prestigieux National Press.Les trublions de la cyberpressePhilippe Hert, dans un article universitaire résume cette attitude en expliquant que ' ce qui importe ce n'est pas le contenu mais le fait de l'exprimer'. La logique évènementielle qui sévit sur le Net se prête parfaitement aux exigences du scoop tant et si bien que parfois l'édition en ligne prend de vitesse l'édition papier : ce fut le cas pour le 'Dallas Morning News qui, le 28 février 1997 à 15h15 lança le premier scoop en ligne. L'affaire concernait le procès de l'attentat de l'Oklahoma City et l'aveu de culpabilité de Timothy Mc Veigh fut délivré en exclusivité sur le web avant même l'édition papier.Si, pour l'heure , attaqué par l'entourage du président, Matt Drudge a aujourd'hui perdu de sa splendeur, d'autres arrivent derrière lui comme par exemple, Luke Ford qui a accusé les acteurs X de dissimuler leur séropositivité, déclenchant un vent de panique. Les trublions de la cyberpresse, véritables électrons libres, n'ont pas fini de faire trembler sur leurs bases les grands de ce monde. Le cas Matt Drudge a désormais fait école...