Pauvre Abramovitch et bienheureux Li Ka Shing ! par Dominique Pagès

Posté lun 24/01/2005 - 00:00
Par admin

Fondateur de PromEst, société sophipolitaine spécialisée dans l'accompagnement d'entreprises en Russie et CEI, Dominique Pagès s'insurge contre la différence de traitement que les médias accordent aux investissements des nouveaux riches chinois comme Li Ka Shing et ceux des Russes comme Roman Abramovitch.

Cet édito, que nous a transmis Dominique Pagès, conseil en stragégie installé à Sophia Antipolis, est l'expression d'un coup de colère. Quand il a vu comment les médias français célébraient le rachat du parfumeur Marionnaud par le milliardaire chinois Li Ka Shing, son sang n'a fait qu'un tour. Spécialisé avec PromEst dans l'accompagnement d'entreprises cherchant à s'implanter ou à travailler en Russie et en CEI, il a été choqué par la différence de traitement réservé aux investissements russes et chinois.Il a pris pour exemple ce qui avait été dit quand un des oligarques russes, Roman Abramovitch avait racheté le club anglais de football de Chelsea. Aux milliardaires chinois, l'image de bon sauveur des emplois européens, aux milliardaires russes, l'image de mafia, de corruption. Pourquoi cette hétérogénéité de traitement s'interroge Dominique Pages qui estime que les nouvelles fortunes chinoises ne sont pas forcément plus propres que les nouvelles fortunes russes. D'où cette analyse destinée au plus grand nombre et notamment aux entrepreneurs exportateurs. Voici le texte de Dominique Pagès (les intertitres sont de la rédaction de Sophianet.com).Lorsqu'il s'agit des nouveaux tycoons chinois, personne n'évoque l'origine de leur empire"En proie à des difficultés insurmontables, Marionnaud vient de trouver son salut entre les bras d’un Groupe chinois dont le propriétaire est l’une des plus grandes fortunes du pays. C’est la vie du capitalisme et, au-delà, une règle naturelle : chacun, quelque soit sa taille, doit faire face à un plus gros prédateur que lui.L’intéressant n’est pas tellement dans cette opération, mais plutôt dans la communication qui en a été faite dans nos media et l’image qui en reste lorsqu’on parle autour de soi : l’achat a été présenté comme une opération salutaire (c’est sûr) par un acteur capitaliste agissant selon les règles habituellement en vigueur dans cet univers et dont on a mis en valeur la puissance de l’empire économique qu’il possède déjà. Quelques voix syndicalistes ont bien évoqué des fermetures de magasins (en nombre limité), mais rien sur le nouveau patron et la légitimité de ses ressources.Parfait, mais personne, à cette occasion comme, d’une façon générale, lorsqu’il s’agit des nouveaux tycoons chinois, n’a évoqué l’origine de cet empire et les modalités qui lui ont permis de le consolider.Comme dans toute économie potentiellement riche, en brusque émergence à la sortie d’une anesthésie dictatoriale, il est clair que les pratiques d’acquisition de la richesse ne peuvent correspondre aux critères « légaux ou propres » édictés dans nos sociétés occidentales socialisées (où la préoccupation est de répartir une maigre croissance plutôt que de conquérir une nouvelle frontière). De fait, les empires qui se sont créés depuis 10 ans en en Russie ou en Chine ont prospéré à la faveur conjointe de vides législatifs, d’une soif généralisée de « rattrapage », d’appétits individuels et de la loi naturelle du plus fort.Cela signifie, en clair, que nul n’aurait pu émerger avec une telle fortune dans nos économies bien pensantes s’il avait du payer impôts et charges sociales au taux européen (je ne dis même pas français), se conformer à nos lois sociales (je ne parle pas des 35 heures dont bénéficient les employés de Marionnaud), ne pas « remercier » les détenteurs d’autorité pour leur bienveillance et ne pas faire usage des facilités fiscales off-shore qu’offrent les gestionnaires de fortunes privées. Pour autant, ces usages -qu’il faut prendre comme un fait et non comme une règle que je vante- ne sauraient couvrir des comportements d’affaires qui sortent ouvertement de l’autorité des Etats qui ont sur eux un consensus de non tolérance : drogue, trafics et abus de personnes, commerces illicites de matériels militaires et sensibles, piraterie et autres prédations faisant l’objet de recherches internationales…Donc Monsieur Li Ka Shing, propriétaire du Groupe AS Watson, est un capitaliste « grata » qui sauve des emplois français et semble avoir été adoubé pour ce faire."Que n'a-t-on entendu lors de l'achat du Club anglais de Chelsea par Roman Abramovitch"Mais, par ailleurs, alors qu’il n’y avait qu’une opération de placement assortie d’un probable caprice, que n’a-t-on entendu –par exemple- lors de l’achat du Club anglais de Football de Chelsea par Roman Abramovitch, l’un des 10 plus riches oligarques russes ou lorsque tel ou telle fortune russe achète des propriétés françaises ou européennes, certes à des prix peu conformes au marché ?Pour forcer le trait, j’ai pris un exemple pas « sérieux » ; mais quelle aurait été la réaction si ce même Abramovitch ou un plus obscur (qui connaissait Li Ka Shing fin 2004 ?) avait été le sauveur de Marionnaud. Nul doute qu’il aurait eu les honneurs de notre presse, mais avec une autre connotation, et certainement des services officiels qui ne sont pas les derniers à faire état de leurs préoccupations sur l’intrusion des capitaux russes (forcément suspects) ou de la multiplication des déclarations de soupçon auprès de TRACFIN, l’organisme garant des bonnes mœurs financières sur le territoire français.Pourquoi une telle hétérogénéité de traitement dont les média ne sont en fait que la caisse de résonance? Probablement plus d’irrationnel et d’inconscient historique que d’arguments comme l’aime l’esprit rationnel français, dans cette situation. Je vous en propose mon approche."Puissance orientale, la Russie à le malheur d'être plus proche de nous"Russie et Chine sont toutes deux des puissances orientales dont la culture nous est incompréhensible et nécessite une grande accoutumance.Mais la Russie a le malheur d’être « blanche » (caucasienne devrais-je dire), chrétienne, cultivée d’Occident et voisine, ce qui rend encore plus inacceptable pour nous qu’elle ne partage pas nos références sociales et culturelles.Son évolution récente s’est faite sous le feu des projecteurs et la perte momentanée de la puissance de l’Etat a profité à une partie de la population qui, en découvrant la liberté dans toutes ses dimensions, en a retiré évidemment le plus grand profit immédiat, sans savoir de quoi le lendemain sera fait.Cette absence de maîtrise de l’avenir, consubstantielle de l’âme de ce pays et de sa population (cette question a toujours été l’apanage du Tsar ou de l’Etat), ainsi que l’inexpérience de la culture des affaires du marché libre génère de fait des règles et des comportements souvent déstabilisants pour les négociateurs.Gaz et pétrole russes sont stratégiques pour notre pays et son équilibre économique, mais sont par essence démarqués de leur origine géographiques et peu médiatiquement valorisables, car plutôt des maux nécessaires. Et puis la Russie a été notre ennemi officiel pendant 50 ans (on a oublié l’amitié et l’alliance du XIX e siècle), structurant l’esprit de nombreux services officiels dans le sens de la suspicion ou du moins de la méfiance. Enfin, il n’est jamais agréable pour sa fierté, si ce n’est pour son portefeuille, d’être acheté par ceux qu’on a considérés longtemps comme des pauvres incapables d’accéder au paradis occidental."Dans l'inconscient français, la Chine reste une "nouvelle frontière" où tout est possible"Paradoxalement, l’éloignement géographique, la différence raciale et religieuse, la profonde méconnaissance de son régime politique et son organisation administrative assez impénétrable semblent profiter à la Chine qui reste, dans l’inconscient français, une « nouvelle frontière » où tout est possible.De fait, le nombre et l’importance en complexité ou en volume de ces obstacles, auxquels s’ajoute une certaine impréparation des services officiels français à l’appréhension de cette (ces, devrais-je dire) culture (s), rendent irréaliste de vouloir réguler les flux qui touchent et toucheront de plus en plus l’économie nationale. Et puis, qui n’est jamais allé dans un restaurant chinois goûter un moment à cet exotisme ? C’est probablement le meilleur support d’image que ce peuple ait eu à sa disposition pour se faire accepter.Mais, plus concrètement, la Chine est aussi aujourd’hui un auxiliaire précieux et surtout visible (merci au « made in China » sur nos produits du quotidien) du maintien de notre croissance grâce à la conjugaison de ses coûts et de son pouvoir d’achat. Enfin, de son côté, la presse relaie volontiers dans ses colonnes les initiatives et les profits des entreprises qui ont pris le parti d’aller vendre ou produire en Chine, tout comme la légitime puissance des entreprises chinoises qui ont su émerger de l’obscurantisme communiste.Fort opportunément, elle n’a pas eu connaissance de déconvenues plus ou moins cuisantes liées à ces projets qui se heurtent là, comme en Russie d’ailleurs, à des comportements d’affaires pas forcément toujours constructifs ou loyaux. L’éloignement sans doute…Pauvre Abramovitch et bienheureux Li Ka Shing !!!!!"Dominique Pagès, Conseil en StratégieSite Web : PromEst

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