Pierre Bénard à Cannes : un X-Mines dans l'espace

Posté jeu 19/04/2012 - 09:19
Par admin

Ingénieur des Mines et Polytechnicien, Pierre Bénard (42 ans) dirige depuis 2009 le site cannois du constructeur de satellites Thales Alenia Space. Le plus gros site industriel de la Côte avec plus de 2.000 salariés et de fabuleux programmes spatiaux en développement. Dominique Perron-Rousset l'a rencontré dans le cadre de ses "Entretiens privés".

Pierre Bénard à Cannes : un X-Mines dans l'espace

Thales Alenia Space à Cannes, est l'un des plus beaux fleurons de l'industrie spatiale française. C'est aussi la plus grosse entreprise industrielle de la Côte d'Azur et son premier exportateur. A la tête du site cannois depuis le début 2009, Pierre Bénard, un X-Mines (ingénieur des Mines et Polytechnicien) de 42 ans, discret et efficace, pilote les équipes chargées de construire les satellites, outils et systèmes qui mettent l'espace au service de notre vie quotidienne. Télécommunications, observation, météorologie, astronomie, navigation, monde des sciences et de l'exploration scientifique, suivi de l'environnement : autant de domaines que les technologies spatiales développées à Cannes mettent en révolution permanente.

Fondatrice de Tara Communication, cabinet conseil en image et management spécialisé en communication financière, Dominique Perron Rousset a rencontré Pierre Bénard sur le site cannois de Thales Alenia Space. Dans sa série des "Entretiens privés", elle livre le portait d'un homme réservé, à l'écoute de ses collaborateurs et de son entourage, travailleur, et passionné par la mission qui lui a été confiée. L'entretien s'est attaché bien sûr à dessiner l'"image" de Pierre Bénard, mais, suivant la formule, il aborde d'autres angles de sa personnalité à travers son parcours, ses réponses aux questions d'actualité ou au Questionnaire de Proust. Voici le texte de Dominique Perron Rousset.

L’ENVIRONNEMENT

Devant le bâtiment en front de mer, je gare ma voiture au soleil. Après un passage obligé au PC de sécurité j’arrive dans le hall de Thales Alenia Space qui date des années 70. A l’étage, Pierre BENARD sort souriant de son bureau pour m’accueillir.

Traversant de longs couloirs où se succèdent des bureaux vitrés, il m’emmène admirer les satellites en cours de construction, à partir d’un espace d’observation surplombant une de leurs salles blanches. D’immenses ballons blancs côtoient les satellites et il m’explique que pour tester certaines pièces, en apesanteur, ces ballons sont utilisés régulièrement.

Nous entrons dans son bureau, classique, où je peux remarquer les photos de ses 4 enfants, près de son fauteuil. Au mur sont accrochées une photo ancienne du bâtiment et une photo d’avion. Sur un meuble bas de rangement, plusieurs trophées remportés par Thales Alenia Space.

AU SEIN DE SON ENTREPRISE

DPR/ Comment pensez-vous être perçu ?

PB/ Je pense que les personnes me perçoivent comme quelqu’un de travailleur, de communiquant et de jeune pour la mission qui m’a été confiée (42 ans). C’est une très belle mission et je l’aime ! On peut me voir aussi comme quelqu’un d’impatient. En termes de progrès, je sais que je n’articule pas assez et je n’ai pas la mémoire des noms.

Comment êtes-vous vraiment ?

Je suis un émotif. J’étais un enfant très émotif et je continue, encore aujourd’hui, à me battre pour gérer cela. J’essaye de rester à l’écoute, c’est important. J’ai trop croisé de personnes emportées par leur égo, j’en ai souffert et je veux rester accessible.

J’ai besoin des autres. Je suis convaincu que l’on prend toujours une meilleure décision à plusieurs même si à la fin une seule personne doit porter et assumer cette décision. Cela peut donner, peut-être, l’impression à certains de mes collaborateurs que je suis un peu brouillon, que je ne sais pas forcément ce que je veux mais lorsque je suis enfin persuadé que la solution est la bonne, je l’assume totalement.

A titre d’exemple, il m’arrive avec les partenaires sociaux et les syndicats, d’avoir une première option en tête mais je les écoute, j’entends leur point de vue et je change parfois d’avis (rires). J’ai aussi un côté intellectuel et je suis tenace.

Comment souhaiteriez-vous être perçu ?

J’aimerais être perçu comme fidèle, loyal et intègre en même temps. Ce qui me gêne, quelquefois, c’est qu’avec mes diplômes (Ecole nationale supérieure des Mines - Ecole polytechnique) les gens ont plein d’idées préconçues sur moi, avant de me rencontrer. Les personnes ont parfois une image, des préjugés qui ne sont pas les bons.

 

Sur la photo, prise lors de la visite de Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en mars dernier de gauche à droite, Yannick D'Escatha, président du CNES, Laurent Wauquiez, Reynald Seznec, PDG de Thales Alenia Space et Pierre Bénard, Directeur de l'établissement de Cannes.

AUPRES DE SES CLIENTS

Selon vous, quelle est l’image de votre entreprise ?

Notre entreprise est certainement perçue comme une entreprise très technologique, capable de vraies prouesses pour rendre accessible l’espace à tous. Nos clients viennent à nous car nous avons des références qui fonctionnent. Cet héritage, il faut le faire vivre. Pour progresser encore, sans doute, devrions-nous aborder des questions plus industrielles et être plus compétitif car notre marché a évolué !

AUPRES DE SES PAIRS

A votre avis, quelle image les personnes à l’extérieur de votre entreprise ont-elles de vous ?

Je crois, qu’elles me voient loyal envers mon employeur même si je me suis jamais vraiment posé la question, en ces termes-là. Je représente cet employeur et je représente également une communauté de travail très forte, de très nombreux ingénieurs impliqués. Ma mission principale, je pense, vis-à-vis de mes pairs est que cette communauté reste bien intégrée.

J’ai la préoccupation de l’enracinement local, de le faire vivre tout en restant à l’écoute des sollicitations de notre territoire et en proposant, chaque fois que cela est possible, la valorisation de ce territoire. Nous avons de la chance car c’est une région bénie des Dieux qui recèle beaucoup d’entreprises technologiques avec un gros potentiel d’attraction. Je passe du temps à coordonner, à veiller à ce que ces personnes soient bien informées de tout ce qui se passe. Je ne suis pas seul et je m’appuie sur une équipe.

Les patrons locaux m’ont très bien accueilli et me font confiance. J’aime la simplicité et la convivialité que je partage avec eux et un grand nombre d’entre eux ont beaucoup d’humour. Des 4 sites que j’ai eu à diriger sur 4 régions différentes, c’est vraiment ici que l’on rit le plus (rires).

AUPRES DE SES FOURNISSEURS

Vous avez de nombreux fournisseurs/sous-traitants, quelle relation entretenez-vous avec eux ?

Nous sommes un client exigeant, notre métier l’exige et c’est parfois compliqué car notre importante structure est composée de nombreuses têtes pensantes (ingénieurs). Depuis longtemps l’entreprise se pose des questions afin de ne pas avoir de fournisseurs qui dépendent trop d’elle. Elle a beaucoup participé au développement de l’APPIM (Association des Partenaires pour la Promotion Industrielle Méditerranéenne) et nous avons aujourd’hui comme objectif de ne pas avoir de fournisseurs qui dépendent de nous à plus de 25% de leur CA.

C’est pour une raison simple : par moment nous avons des cycles hauts et par moment des cycles bas et donc moins de programmes. Nous ne voulons pas rendre trop dépendants certains de nos sous-traitants qui pourraient souffrir  de nos cycles « bas ». Nous les encourageons, nous les accompagnons afin qu’ils trouvent d’autres marchés, d’autres débouchés que le spatial. Notre objectif est de faire vivre, de faire évoluer cet éco système d’entreprises high tech. Qu’ils vivent avec nous mais pas que de nous. Qu’ils vivent du spatial mais pas que du spatial !

Cela nécessite des relations claires, adultes d’autant plus que nous remettons régulièrement en compétition nos fournisseurs. Nous tenons absolument à ce que ces compétitions restent justes et loyales. C’est obligatoire et pas négociable ! Je pense qu’ils aiment bien travailler avec nous car nous faisons un métier fantastique.

PARCOURS DE L’ENTREPRISE/METIER

La France est la première puissance spatiale européenne et l’Europe parmi les trois grandes puissances spatiales mondiales. Quels sont les nouveaux développements que l'on pourrait attendre sur le site cannois du groupe ?

Cannes est l’établissement vitrine de Thales Alenia Space. C’est ici que l’on mène les programmes, que l’on conçoit les satellites, que l’on intègre ces satellites et que l’on les teste. Cela fait de nous un établissement représentatif de toutes les applications du spatial.

Nous avons des perspectives à long terme de développement dans tous les segments du marché des télécommunications, de l’observation, de la météorologie, de l’astronomie, de la navigation, du monde des sciences et de l’exploration scientifiques, en général. On peut citer en exemple : la surveillance des changements climatiques.

Avec plusieurs développements importants, nous pouvons signaler la 3ème génération de satellites météorologiques européens (Météosat). Nous avons créé les deux premières générations et nous en sommes à la troisième. Toutes les photos que vous voyez au Journal Télévisé du 20 heures, depuis qu’elles existent, sont des photos prises par les satellites cannois. Et cela restera le cas au moins jusqu’en  2037. C’est une véritable cathédrale industrielle, une des plus belles de France, avec 13 000 m2 de salles blanches !

Et vous, dans votre métier mais aussi dans votre vie,  comment faites-vous dans les moments difficiles ?

Dans les moments difficiles, je suis résistant physiquement et j’ai, d’ailleurs, tendance à pousser mes résistances physiques. Je m’appuie encore plus sur les autres pour trouver LA solution que ce soit dans le cadre professionnel ou personnel. Tant que je n’ai pas la solution je cherche autour de moi et auprès de mon entourage.

J’aime bien aussi utiliser la prise de recul. J’ai grandi chez les jésuites et j’en ai gardé une certaine forme de la pratique d’exercices spirituels dans lesquels j’alterne les moments de mise à l’écart  et les moments de recherche collective. Dans les différents exemples que j’ai en tête, c’est comme cela que je fonctionne. Mon épouse reste mon meilleur conseil. Il y a une phrase de St Thomas que j’apprécie : « Garde la règle pour que la règle te garde ». Dans la difficulté mon premier réflexe est de revenir aux fondamentaux.

LA QUESTION D’ACTUALITE

Laurent Wauquiez, le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, est venu récemment à Cannes présenter la stratégie spatiale française. Comment l'établissement de Cannes vient-il s'insérer dans cette stratégie?

Cannes est un maillon indispensable de la stratégie française, un maillon clé puisque nous sommes un des deux grands centres d’intégration satellites français, l’autre grand centre étant à Toulouse. Nous sommes le centre européen d’intégration optique haute résolution. Cannes est vraiment au cœur de la stratégie française qui mène l’industrie spatiale mais en même temps dans une vision européenne.

Quels sont pour vous, dans le monde, les grands challenges de l'espace à venir ?

Nous ne sommes vraiment qu’au début de la conquête spatiale (Spoutnik n’a que 50 ans). Il faut continuer à rendre l’espace un lieu de création, au service de tous.

Un bel exemple : nous avons un  programme, sur l’établissement de Cannes, qui va donner accès à Internet aux 3 milliards de personnes qui habitent le long de l’équateur, dans de grandes zones étendues et qui n’ont pas forcément la capacité à investir en fibre optique et en infrastructures lourdes. Nous développons des applications de météorologie permettant de prévenir les catastrophes météorologiques. Et notamment, toutes les applications de la navigation comme le GPS. Dans la vie de tous les jours cela permet de localiser rapidement les personnes et de les secourir.

L’espace est vraiment un lieu de progrès pour toute l’humanité. Nous, en tant qu’industrie de l’espace, il nous faut continuer à le faire vivre pour cela. Nous devons garder à la fois une vision citoyenne et de création de richesses pour tous.

 

Le questionnaire de Proust

Le principal trait de mon caractère : Empathie

Mon principal défaut : Je lutte pour ne pas aller trop vite à la solution, je suis impatient.

Ce que j’apprécie le plus chez mes amis : La fidélité absolue en toutes circonstances

Mon rêve de bonheur : Que chacun puisse être pleinement épanoui

La couleur que je préfère : la couleur et la luminosité qui succèdent à la pluie quand le soleil est revenu. Cette clarté particulière.

La fleur que je préfère : le coquelicot, au printemps

Mes auteurs favoris : Victor Hugo, après il y en a trop

Un livre que j’ai beaucoup aimé : Notre-Dame de Paris

Mes compositeurs préférés : Chabrier – L’idylle

Mon peintre favori : Manet pour ses couleurs

Ce que je déteste par-dessus tout : l’incompétence

Ma valeur préférée : l’intégrité

Qu’aimeriez-vous avoir réussi dans votre vie ? : Là où je suis, professionnel et privé, combattre pour des projets collectifs qui permettent à chacun de s’épanouir.

A ce jour, qu’auriez-vous aimé changer dans votre vie ? : J’aurais aimé « grandir » moins vite et profiter de chaque instant plus intensément

Les impressions de DPR

Ce que j’ai aimé :

  • Sa sincère volonté de rester humble, son sourire et sa pudeur.
  • Sa qualité d’écoute et l’intérêt qu’il porte aux gens qu’il rencontre.
  • Sa gaité qui met encore plus en valeur sa véritable profondeur.

Ce que j’ai moins aimé :

  • Le côté vieillot de la décoration des bureaux et du bâtiment en général : entreprise high tech ?!

 

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