Soutien aux migrants : la lettre ouverte des universitaires de PACA

Posté mer 23/11/2016 - 08:43
Par admin

Aujourd'hui se tient au Tribunal de Nice l'audience de Pierre-Alain Mannoni, enseignant-chercheur à l’Université de Nice Sophia Antipolis, poursuivi pour avoir secouru trois personnes migrantes. Pour le soutenir, les universitaires de PACA et de France ont écrit une lettre ouverte adressée au Président de la République, au Premier ministre et au ministre de l'Intérieur au sujet de la situation alarmante des migrants et des citoyens solidaires dans notre région et particulièrement dans la Roya, ce "mini-Calais" azuréen à la frontière italienne.

Actualisation 24-11-2016 à 9h15. Six mois de prison avec sursis ont été requis mercredi soir contre Pierre-Alain Mannoni. Une sanction pour l'exemple s'est élevée son avocate Me Maeva Binimelis qui avait plaidé la relaxe. Quant à Cédric Herrou, l'agriculteur poursuivi pour avoir installé sans autorisation une cinquantaine d'Erythréens dans le centre de vacances SNCF désaffecté de Saint-Dalmas-de-Tende, et qui devait être jugé en même temps au tribunal de Nice, son audience a été reportée au 4 janvier à la demande de ses avocats.

Cette lettre ouverte des universitaires a, en effet, été écrite en réaction à l’arrestation et la poursuite judiciaire de Pierre-Alain Mannoni, enseignant-chercheur à l’Université de Nice Sophia Antipolis (écologie marine) pour avoir secouru trois personnes migrantes dans la vallée de la Roya, le mini-calais à la frontière italienne. Témoignant de l’indignation de la communauté universitaire face à la criminalisation des citoyens solidaires et des migrants et aux conditions de vie dramatiques de ces derniers dans la région PACA et en France, la lettre a, de lundi 12 heures à mardi soir, reçu un large soutien (près de 700 signatures). Cette lettre est complétée par une série de pétitions en ligne qui ont également recueilli un grand nombre de signataires.

Poursuivi pour avoir aidé trois jeunes Erythréennes

Les faits remontent au 17 octobre. Revenant de la vallée de la Roya, Pierre-Alain Mannoni passe par un campement improvisé pour l'accueil de migrants à Saint-Dalmas de Tende et embarque trois jeunes Erythréennes. Il compte les descendre sur Nice pour les conduire ensuite dans une gare à partir de laquelle elles repartiraient sur Marseille où elles seraient attendues par une association. Il n'ira pas jusqu'à Nice car il est arrêté par un contrôle au péage de la Turbie. Après 36 heures de garde à vue, il est libéré sous contrôle judiciaire en attendant son procès.

Pierre-Alain Mannoni sera ainsi jugé aujourd'hui pour délit "d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour d’étrangers en situation irrégulière". Un chef d’inculpation qui est le même que celui infligé aux passeurs et qui est passible de cinq ans de prison et 30 000 euros d’amende. Pour ne pas subir les foudres de la justice, à charge pour le citoyen aidant de bien prouver qu'il a agi dans un but humanitaire, bénévole et désintéressé. C'est ce que veut montrer Pierre-Alain Mannoni, qui affirme avec force ne pas être un passeur et de n'avoir jamais touché le moindre argent (voir ci-dessous le lien sur son témoignage dans Médiapart).

Voici le texte de la lettre ouverte des universitaires qui nous plonge dans ce dossier des migrants si douloureux pour la conscience européenne.

La "Lettre Ouverte" au Président de la République, au Premier ministre et au Ministre de l’Intérieur

"Enseignants-chercheurs, membres des Universités de la région Provence Alpes Côte d’Azur (PACA) et d’autres universités de France, nous souhaitons vous alerter sur la situation dramatique dans laquelle se trouvent les migrants et les citoyens solidaires sur notre territoire. Par la présente, nous vous exprimons notre vive préoccupation face aux condamnations morales et juridiques de toute forme d’assistance et de solidarité envers les migrants en PACA comme sur l’ensemble du territoire français.

Mercredi 23 novembre, l’un de nos collègues, Pierre-Alain Mannoni, Ingénieur d’Etudes à l’Université Nice Sophia Antipolis, sera jugé pour être venu en aide à trois jeunes femmes étrangères dans un lieu d'accueil ouvert par un collectif d’associations à Saint Dalmas de Tende, dans la vallée de la Roya. Il encourt une peine de 5 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende pour « aide à l'entrée ou au séjour irrégulier » sur le territoire, sur la base de l'article L. 622 du CESEDA. Il apparait donc que ce décret-loi, conçu pour lutter contre les réseaux de trafiquants qui font du passage aux frontières une activité lucrative, est aussi utilisé à l'encontre de personnes côtoyant des étrangers en situation irrégulière et qui choisissent de leur rendre service au quotidien.

Pierre-Alain Mannoni n’est pas seul dans ce cas. À Vintimille comme dans la Vallée de la Roya, points de passage obligés entre l’Italie et la France pour les migrants d’aujourd’hui comme d’hier, de nombreux citoyens s’organisent pour apporter un soutien matériel et symbolique aux personnes qui font face à des conditions de vie dramatiques du fait de l’absence de prise en charge par les pouvoirs publics. Ces gestes d'humanité sont régulièrement sanctionnés par des arrestations policières et des poursuites judiciaires. Nous nous opposons à la criminalisation d'un “délit de solidarité” dans le cas de Pierre-Alain, tout comme des autres personnes poursuivies dans la Roya et au-delà.

Ces poursuites judiciaires bafouent les valeurs fondamentales de la République, le droit d’asile européen, le devoir de protection des mineurs non accompagnés et les droits humains les plus essentiels. En agissant de la sorte, les pouvoirs publics mettent en péril les vies des femmes, hommes et enfants qui se risquent sur les routes de l’exil ainsi que la cohésion sociale au sein de notre société.

Dans une région comme la nôtre, où responsables et élus locaux se livrent à des surenchères verbales et politiques, clamant leur refus d’accueillir ces personnes en détresse, il nous apparaît plus que nécessaire de faire entendre une voix citoyenne pour appeler au respect des valeurs de partage et de la solidarité.

En tant qu’enseignants-chercheurs et agents au service de l’Etat, nous considérons qu’il est de notre devoir de former les jeunes générations, responsables du monde de demain, au respect et à la compréhension de ces valeurs universelles. Mais il est également de votre devoir, Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Ministre de l'Intérieur, de nous aider à les promouvoir en actes et au quotidien. C’est pourquoi nous vous demandons d’agir rapidement afin que les actes de protection et de solidarité à l’égard des migrants en danger ne soient plus réprimés, moralement ni pénalement, ce que ne permet pas à ce jour la loi en vigueur. Nous demandons également à l'Etat de prendre ses responsabilités en mettant en place de véritables dispositifs d'accueil et de prise en charge des migrants, afin que les citoyens ne soient plus placés dans l'obligation morale de se substituer à lui - comme c'est le cas dans la vallée de la Roya. En PACA comme sur l’ensemble du territoire national, il en va du respect des droits de l’Homme et des principes fondamentaux de liberté, d’égalité et de fraternité chers à notre République."

Une lettre ouverte, trois pétitions et une cagnotte pour frais de justice

Entre lundi midi et mardi soir, la lettre ouverte a fédéré 682 signataires, en majorité des universitaires de PACA, de France et d’autres pays. Par la même occasion, les initiateurs et initiatrices "tiennent également à exprimer leur soutien aux autres initiatives en cours qui visent à lutter contre l’extrême précarisation des migrants et migrantes et contre la criminalisation des solidarités, ou à en témoigner".

Parmi les autres pièces de ce dossier

-Le témoignage de Pierre-Alain Mannoni dans Mediapart

- Les trois pétitions en cours :

-La cagnotte mise en place pour soutenir les frais de justice (les frais de justice sont évalués à 2.000 € et plus de 5.400 € ont déjà été recueillis, le supplément devant être reversé à l'association Habitat et Citoyenneté à Nice)

- La page relative au "délit de solidarité" sur le site du Gisti

Ajouter un commentaire