Stephan Brun : contre la suppression du commissariat aux comptes dans les SAS

Posté mer 14/05/2008 - 07:40
Par admin

Stephan Brun : contre la suppression du commissariat aux comptes dans les SAS

Le projet de suppression du commissariat aux comptes dans les SAS (Sociétés par Actions Simplifiées), ne fait pas l'unanimité. Ce projet, inclus dans le projet de loi de modernisation de l’économie (article 14) présenté à partir du 23 mai devant l’Assemblée Nationale, fâche notamment les Commissaires aux Comptes. A Sophia Antipolis, Stephan Brun, un des fondateurs d'Experts & Associés International, société de commissariat aux comptes près la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence et d'expertise comptable inscrite au Tableau de l'Ordre de la Région PACAC, a vivement réagi.

 

Dans un argumentaire, il explique pourquoi, selon lui, le projet va à l'encontre à la fois de la confiance dont l’économie à besoin en sapant la sécurité juridique des transactions sur les actions. Sans oublier également que cette mesure supprimerait environ 70.000 mandats sur les 210.000 mandats nécessitant un commissaire aux comptes en France (il y en a environ 15.000). L'argumentaire de Stéphane Brun, que l'on y adhère ou pas, vient éclairer le débat (les intertitres sont de la rédaction).

 

La plupart des SAS concernées

 

"En qualité de commissaire aux comptes, nous souhaitons attirer votre attention sur un article du projet de loi de modernisation de l’économie proposant la suppression du commissariat aux comptes dans les Sociétés par Actions Simplifiées en dessous des seuils prévus aujourd’hui pour les SARL (dépassement de 2 des 3 critères : 3,1 millions d’euros de chiffre d’affaires, 1,55 million d’euros de total de bilan et 50 salariés).

 

Créée par la loi n° 94-1 du 3 janvier 1994 puis ayant vu ses conditions de constitution considérablement élargies par la loi du 12/07/1999, la SAS est devenue à ce jour une forme juridique très fortement utilisée. Encadrée par les Code de commerce aux articles L.227-1 à L.227-20, dont le fondement repose sur la distinction entre détention du capital et du pouvoir, la SAS est organisée par une liberté contractuelle importante en vue de son fonctionnement et de l’ouverture de son capital et nécessite donc, comme la Société Anonyme, la nomination d’un commissaire aux comptes.

 

La SAS sert en pratique à permettre aux créateurs, fondateurs ou inventeurs à trouver des financements à plus ou moins long terme sans pour autant perdre le contrôle de leur société ; mais aussi aux entreprises familiales à organiser plus facilement le fonctionnement de leur structure ; pour les filiales de groupe, ou encore en vue d’organiser la transmission des entreprises. Or, le plus grand nombre des SAS est en dessous des seuils mentionnés : ces PME constituent l’essentiel de notre tissu économique et ont droit à la sécurité financière.

 

A l'encontre de la confiance 

 

Cette remise en cause d’une obligation légale et de sécurité financière dans le Projet de loi de modernisation de l’économie va à l’encontre :

  • de la confiance dont l’économie à besoin et de la régulation nécessaire pour encadrer le capitalisme en France,
  • des textes législatifs créés depuis le début des années 2000, à savoir la Loi des Nouvelles Régulations Economiques (NRE) en 2001, la Loi de Sécurité Financière (LSF) en 2003, la Loi pour la confiance et la modernisation de l’économie en 2005, la création du H3C (Haut Conseil au commissariat aux comptes) en 2006, l’homologation par arrêtés interministériels de Normes d’Exercices Professionnelles relatives à l’exercice de nos mandats depuis 2006.

 

Pour exposer nos propos, il suffit de reprendre la réponse ministérielle du 13 mars 2007 (Rép. min. n° 113697, JOANQ, 13 mars 2007, p. 2752 ; Question publiée au JO le : 19/12/2006 page : 13162) à la question d’un parlementaire de savoir si, dans une SAS, la nomination d’un commissaire aux comptes (CAC) pouvait être subordonnée au franchissement de certains seuils, à l’instar de ce qui peut être admis dans les SARL.

 

SARL à capital fermé et SAS à capital ouvert…

 

Le recours à un commissaire aux comptes est imposé par la loi lorsque l’entreprise est constituée sous la forme d’une société commerciale, afin de fournir des informations fiables sur l’état du patrimoine de la société. Le patrimoine de la société constitue en effet le gage donné aux tiers qui entretiennent des relations d’affaires avec la personne morale. L’obligation de s’en remettre à l’examen impartial du commissaire aux comptes n’a pas la même force selon la nature de la société commerciale.

 

Ainsi, pour une société à responsabilité limitée (SARL), forme de société dont le capital est fermé à une libre participation des personnes extérieures, l’exigence d’un commissaire aux comptes apparaît seulement lorsque deux des seuils parmi le montant du bilan, celui du chiffre d’affaires et l’effectif moyen, sont atteints. Ces seuils sont des critères qui attestent d’un niveau de développement critique à partir duquel la personne morale dispose d’un poids économique conséquent justifiant le droit pour les tiers de disposer d’une information financière rigoureuse à la hauteur des engagements contractés au nom de la personne morale.

 

Au contraire, la société par actions simplifiée (SAS) est en droit une société dont le capital est ouvert, c’est-à-dire que les actions représentatives du capital social ont vocation à s’échanger librement avec toute personne extérieure. Cette liberté d’échange des actions est un élément attractif pour les investisseurs qui savent ainsi pouvoir se dégager de l’entreprise.

 

Il importe, toutefois, que la sécurité juridique des transactions sur les actions soit garantie, notamment qu’une information fiable puisse être donnée sur l’existence du capital social représenté par les actions et la consistance du patrimoine social sur lequel les actions ouvrent des droits.

 

La vérification des comptes sociaux par une personne indépendante de la personne morale contrôlée, le commissaire aux comptes, est un moyen établi par la loi d’atteindre une information fiable sur laquelle fonder une transaction. Dans ces conditions, il ne peut être envisagé de supprimer le contrôle du commissaire aux comptes sur la SAS selon un critère de taille. »

 

Le commissariat aux comptes, outil de sécurité économique

 

La meilleure argumentation à notre propos est également reprise dans le contenu des récents discours des différents ministres en place

  • l’intervention de Monsieur Herve Novelli, Secrétaire d’Etat charge des entreprises et du commerce extérieur et le discours de Madame Rachida Dati, Garde des sceaux, ministre de la justice prononcé à l’occasion des XXème assises de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes le 30 novembre 2007,
  • l’intervention de Monsieur Pascal Clément, Garde des sceaux, ministre de la justice à l’occasion du Bicentenaire du Code de Commerce le 2 février 2007.

 

Ces interventions confirment, s'il en était besoin, que le commissariat aux comptes est un outil de sécurité économique et attestent de l'intérêt des missions des commissaires aux comptes pour les pouvoirs publics, notamment dans les PME, les SARL et les SAS.

 

Les risques de cette mesure de dérégulation

 

Nous attirons surtout votre attention sur les risques et les coûts plus importants pour l’Etat que font courir cette mesure de dérégulation :

  • l’aggravation des faits délictueux non révélés et de la non détection des fraudes par les entreprises,
  • l’augmentation du nombre de litiges devant les tribunaux relatifs au non respect du droit des sociétés,
  • les difficultés économiques et financières des entreprises non anticipées par la procédure d’alerte entrainant une augmentation des faillites et des licenciements,
  • les risques plus importants sur le contrôle de l’assiette fiscale du fait de l’absence de contrôle des comptes,
  • le bénéfice de réduction d’ISF (récemment voté) au titre des placements dans des PME qui ne seraient pas contrôlées,
  • des transmissions de PME non sécurisées,
  • la diminution de la protection des intérêts des différents acteurs : salariés et comité d’entreprise, clients, fournisseurs, actionnaires, Etat, investisseurs actuels et futurs.

 

Si cette mesure était adoptée, accepteriez vous de cautionner tous ces risques ?

 

Environ 70.000 mandats sur 210.000 seraient supprimés

 

Par ailleurs, cette mesure supprimerait environ 70.000 mandats sur les 210.000 mandats nécessitant un commissaire aux comptes en France (dont le nombre est d’environ 15.000) - chiffres CNCC-, soit :

  • une dérégulation et une dérèglementation d’un tiers de ces sociétés dites « d’intérêt public ». Si cette mesure était adoptée, accepteriez vous la voie de la dérèglementation totale des entreprises ?
  • la perte du tiers des mandats par la profession sachant que la plupart des cabinets de commissaires aux comptes de petite taille installés sur tout le territoire national ne détienne pratiquement que des mandats dans des SAS et inférieurs aux seuils mentionnés : cela entrainera de facto la fermeture desdits cabinets et le licenciement liée du personnel de cette profession. Si cette mesure était adoptée, qu’est-il prévu comme mesures d’accompagnement ?
  • la réduction à néant de la valeur des clientèles de commissariat aux comptes rachetées par les jeunes confrères au cours de ces dernières années ou créées par les plus anciens dont au long de leur vie professionnelle. Si cette mesure était adoptée, qu’est-il prévu comme mesures d’accompagnement ?

 

C’est pourquoi, nous vous demandons de ne pas suivre cette incohérence entre le discours tenu depuis toujours, la sécurité financière des sociétés de notre pays et ce projet de loi établi sans concertation. Nous vous recommandons de faire amender ledit projet de loi en supprimant cet article ou en votant contre lors des séances."

 

Stephan Brun

 

Contact

Stephan Brun, Commissaire aux comptes près la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, Expert-comptable spécialisé en normes IAS/IFRS; E-mail : sbrun@experts-eai.com

Bureaux : Green Side - 400, Av Roumanille - BP 309 - SOPHIA ANTIPOLIS (06906)  Tél : 04 93 00 12 44 / Fax : 04 93 00 12 45

Web : www.experts-eai.com

 

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